Festival Manaki Brothers 2024, 45e édition

Mes rencontres cinématographiques à Manaki (2)

Par Sarah Blum, AFC

par Sarah Blum Contre-Champ AFC n°359

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C’est mon premier festival Manaki Brothers et je suis comblée d’écouter, de parler et de réfléchir à la création cinématographique avec des pairs et des mentors. Je décide de faire quelques portraits des directrices et directeurs de la photographie rencontrées ici et là, jour après jour, et de transformer nos échanges inspirés en une sorte de journal de mes rencontres cinématographiques. Tout part de discussions qui naissent de manière informelle entre les projections et les tables rondes que propose le festival. On se retrouve aux cafés de Bitola, ou dans les rues qui jouxtent les deux salles de projection.

Je vous livre ce journal, en portrait et en texte, tels des fragments d’inspiration, à partager sans modération. Et je crée un condensé de ces rencontres en une image, une citation que vous pouvez retrouver sur la page Instagram de l’AFC.

  • JOUR #2

Christian Berger, AAC

Christian Berger est entre autre connu pour sa longue collaboration avec Michael Haneke, dont Le Ruban blanc, (2009) et La Leçon de piano, (2001). Il a également signé la photographie du Grand cahier, de János Szász.
J’ai été particulièrement heureuse de le rencontrer en personne pour l’entendre parler de son travail avec les miroirs et réflecteurs Lightbridge. A l’occasion du projet de film Le Ruban blanc, il a développé, avec le chef électricien Jakob Ballinger, un système d’éclairage à base de miroir et de réflecteurs, qui a donné plus tard les CRLS de Lightbridge

Photo Sarah Blum


Comme nous sommes plusieurs directeurs de la photo présents à être curieux de son récit, une présentation de son travail sur les CRLS s’improvise dans une des salles de projection, avec des images de tournage et des photos d’installation à l’appui.
Je vous conseille vivement de voir cette vidéo pédagogique crée par Christian Berger : Evolution of Reflected Light.
Christian nous la montre et la commente avec des exemples de cas, tirés de ses tournages et présentés sous forme de photo d’installation et photogrammes de rushes qui montrent le résultat.
Ce qui lui importait tout personnellement dans cette invention, ce sont les avantages suivants qui résultent d’un éclairage avec les CRLS :
- Libérer le plateau et les acteurs de la pollution de leur espace de jeu, qu’occasionnent les multiples projecteurs, les cadres de diff et les drapeaux dans leur espace de jeu et d’imagination.
- Le rendu naturel d’une lumière qui entre dans un décor depuis une distance plus lointaine.
Quand la lumière entre depuis l’extérieur d’un décor, les réflections sont multiples et plus accidentelles selon les surfaces et couleur du décor et donnent une sensation de grand naturel contenant toutes les modulations liées aux rebonds dans le décor (comme un coin de table en verre, un mur rugueux, un plafond, un sol bois, etc.).
Avec les CRLS, un entrant qui entre après avoir été réfléchi dans un miroir-réflecteur a l’avantage d’un "fall off" de la lumière plus constant et donc plus naturel que ce qu’on obtiendrait avec un HMI diffusé et entrant par le même endroit. Cela nous rend plus facile, par exemple, d’éclairer avec un entrant un comédien qui s’approche de la fenêtre. Avec un HMI diffusé nous devons gérer difficilement en coupant et en diffusant davantage la croissance trop rapide de l’exposition, plus le comédien se rapproche de la fenêtre. Avec une lumière réfléchie par un miroir, la distance de la lumière s’accroit sans avoir besoin d’autant de recul et le "fall off" est bien plus constant dans la distance.
- Le travail avec les CRSL fait gagner beaucoup de temps d’installation, de par sa légèreté. Les installations et changements de set-up sont plus rapides. Il y a moins à couper et à moduler, donc moins de pieds, de drapeaux, de cadres, et moins de sources et de câbles à brancher, et enfin moins d’énergie consommée.
- L’usage de ces miroirs devient idéal avec des projecteurs à rayons parallèles. Ce sont les seuls avec lesquels le rendement ne décroît pas avec la distance. Et avec lesquels les CSLR opèrent de la manière la plus propre (sans formation d’aberrations chromatiques sur les bords, ni de baisse d’intensité au centre du faisceau réfléchi).
Le seul hic pour le moment : ces projecteurs ne sont pas encore largement disponibles. Parmi les plus répandus, en forte puissance, il y a les beamer Dedolight 1,2 kW.

A la sortie de la présentation, dans mes échanges avec d’autres directeurs de la photo et gaffers, on se dit que nous n’avons pas encore, pour la plupart d’entre nous, eu la chance de travailler avec les beamer à faisceau parallèle. Mais, à défaut, nous avons pu obtenir des résultats déjà très agréables avec des sources comme les Aputure 1,2 kW 5 600 K et l’accessoire lentille qui rend le faisceau plus serré et plus parallèle ; les HMI Joker 400/800/1 600 W avec l’accessoire "Source Four" 25-50°.
Pour bien comprendre tout cela, rien ne vaut de voir des exemples d’installation et des images montrant le résultat en photo(gramme)s. Lightbridge en partage pas mal sur leur Instagram du même nom.

Je prolonge ma rencontre avec Christan Berger au café Etola.
Je sens quelqu’un qui a autant de passion pour les découvertes scientifiques que pour le loisir d’observer et observer encore la nature et ce qui l’entoure, en essayant de préserver un émerveillement enfantin, au sens premier et noble du terme.

Bruno Delbonnel, AFC, ASC

Bruno Delbonnel a été mis à l’honneur cette année à Bitola. Une Caméra d’or 300 lui a été décernée pour son œuvre entière, et une étoile lui est dédiée sur les pavés de la rue du Cinema Manaki.
Depuis Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, de Jean-Pierre Jeunet (2001), il ne s’est plus jamais arrêté et a été sollicité par les plus grands cinéastes américains comme les frères Coen (entre autres Inside Llevyn Davis, 2013, The Tragedy of Macbeth, 2021), Tim Burton, Miss Peregrine’s Home for Peculiar Children, (2016), et d’autres réalisateurs internationalement connus, comme Alexandre Sokurov pour Faust, (2011).

Photo Sarah Blum


Nous partageons un café avec Bruno Delbonnel, Agnès Godard, Nathalie Durand et Margot Besson, où chacun parle de sa pratique. On parle de recherche, de ne pas se répéter, que chaque film est une nouvelle aventure qui se veut sincère dans son expérimentation. Le terme "proposition" est prononcé et validé par nous tous. Chaque film serait au fond une nouvelle "proposition". Une proposition de voir le monde, de ressentir, de mettre en scène cinématographiquement. Je comprends cela comme une création de langage sur mesure. Inventer un alphabet, une grammaire aussi, créer peut-être des dispositifs de tournage particuliers, faire des paris, pour réussir à embrasser et sublimer une histoire et des émotions. C’est du sur-mesure chaque fois. Et ça ne va jamais sans prendre des risques, ce qui n’est possible que parce qu’on y croit.
Dans ce contexte Bruno parle de l’importance qu’il accorde à sa toute première lecture d’un scénario. C’est la plus spontanée, la plus intime et la plus juste pour ce qui est de ses émotions et ses associations d’idées. Il s’oblige à prendre des notes, il aime faire des dessins à ce stade, avoir des associations d’idées de toute sorte.
Plus tard, dans les discussions et recherche avec le réalisateur et ses autres collaborateurs jusque sur le plateau, il essaie de rester fidèle à ces premières intuitions. Elles sont forcément justes, dit-il, car brutes et sans filtre.

(Remerciements à Loca Images / Paris, pour la mise à disposition du matériel photographique.)