Par effraction

Breaking and Entering
J’ai rencontré Anthony il y a quelques années quand j’ai tourné le début du Talentueux M. Ripley. Anthony avait tourné tout le film en Italie et, après quelques mois de montage, il s’est rendu compte qu’il avait commis une erreur en supprimant, pour des raisons budgétaires, le début du script original qui se situait à New York.

Anthony fut très clair avec moi : John Seale était son premier choix, mais il n’était pas disponible. Par pure coïncidence, Anthony venait de voir Cyclo que j’avais tourné au Vietnam avec Tran Anh Hung et il en aimait le style.
Pendant l’écriture de Breaking and Entering, il avait décidé de choisir une personne avec laquelle il n’avait jamais travaillé. Donc, logiquement, il ne m’avait pas appelé. Il rencontra beaucoup de chefs opérateurs, de différents pays. Et je crois qu’un jour, sa femme lui a dit quelque chose comme : « Si tu n’es pas satisfait des gens que tu as rencontré, je pense que tu devrais parler à Benoît. Tu n’as travaillé avec lui que quelques jours. » Finalement les épouses peuvent être plus persuasives que les agents.

Lors de notre première rencontre, il n’était pas encore très sûr du style d’image qu’il voulait mais il ne désirait pas faire à nouveau un film d’époque en costumes joliment éclairé. Il m’a dit être très influencé par les films de Wong Kar Wai. Ce qui m’a étonné car il me semblait très éloigné du style des films d’Anthony Minghella. Il m’a ensuite parlé de Cyclo et de la force des couleurs monochromatiques saturées. Il aimait aussi la texture des rues, un sentiment de vie réelle avec quelque chose en plus. Il évoqua aussi Kieslowski et Le Décalogue.
[Anthony Minghella] était habitué à travailler avec de beaux paysages et de vastes décors, c’est comme ça qu’il impressionne le spectateur : des histoires intimes dans de vastes paysages.

Et subitement nous nous retrouvions à Londres. Nous étions inquiets car Londres peut être laid à l’écran. J’ai donc cherché quelque chose de touchant dans la laideur de Londres. Anthony Minghella voulait aussi dresser un portrait du Londres d’aujourd’hui. Ce film est plein de symboles et de métaphores, aussi bien dans le langage que visuellement. J’ai très vite compris pourquoi Anthony évoquait Kieslowski. Trois couleurs : bleu m’a aussi beaucoup aidé à trouver un style. Les quartiers de King’s Cross et de Primrose Hill expriment des choses différentes et je voulais accroître ces différences par la lumière.

Nous avons utilisé une Arricam Lite, une Arricam Studio et une Arricam 235. Nous avons tourné en Super 35 avec une série Zeiss Ultra Prime et une série Zeiss High-Speed. Je savais qu’Anthony mettait systématiquement un zoom sur la caméra. Mais avec un zoom vous ne savez jamais l’échelle du plan et il y a toujours la tentation de zoomer, de serrer davantage. Nous avons donc opté pour des Primes et Anthony plaisantait chaque jour quant à ma haine des zooms : « Tu es comme ces types des Cahiers du Cinéma. Tu ne peux pas utiliser de zoom parce que le zoom c’est le diable, ce n’est pas de la mise en scène ! »
Pour la pellicule, j’ai utilisé principalement la Kodak Vision 2 5218 et de la 5217 pour quelques extérieurs jour.

  • Fragments d’un entretien accordé en anglais par Benoit Delhomme au magazine américain online Film&Video et traduit par Marc Salomon.