Patrick Blossier, AFC, et le réalisateur Fabrice Gobert évoquent le tournage de la saison 2 de "Mytho"

Contre-Champ AFC n°324

Après une première saison remarquée, le réalisateur Fabrice Gobert livre sur Arte la deuxième partie de la série "Mytho", qui sera diffusée du 7 au 14 octobre. On y retrouve, après quelques mois, le personnage central d’Elvira (Marina Hands), mère de trois enfants, dont le très gros mensonge au sujet de son faux cancer a bouleversé la vie de toute sa famille. Avec Patrick Blossier, AFC, fidèle à l’image depuis "Les Revenants" et le long métrage K.O., en 2017, ils nous expliquent les tenants et les aboutissants de cette histoire où le banal se mêle intimement à l’étrange. (FR)

A l’issue de la première saison, on avait laissé la famille Lambert complètement anéantie par la révélation du mensonge de la mère. Cette dernière, ayant quitté le domicile familial, s’est réfugiée en secret chez la voisine d’en face, Madame Martin (Anne-Charlotte Pontabry). L’intrigue reprend en deuxième saison, quelques mois plus tard, au moment des fêtes de fin d’année. Une ellipse très affirmée à l’écriture, puisque plusieurs personnages ont pas mal changé depuis. Les spectateurs imaginant eux-mêmes les événements virtuels manquants... Patrick Blossier explique : « On a travaillé sur le look des personnages. Le plus marqué, c’est Patrick (Mathieu Demy). En pleine déprime suite aux révélations d’Elvira, il se laisse complètement aller depuis. Sa barbe est devenue bien plus touffue, et on l’a équipé d’un faux ventre pour accentuer la situation. Et puis les lieux ont changé aussi... On est mi-décembre, le quartier pavillonnaire dans lequel vivent les Lambert s’est soudain habillé de guirlandes et de décorations de Noël… Une ambiance très différente du soleil printanier de la saison 1... »

Fabrice Gobert rajoute : « Notre chef décoratrice, Colombe Raby, a mis le paquet sur les guirlandes ! On est sans doute loin d’un quartier pavillonnaire français, c’est un peu du Tim Burton période Edward aux mains d’argent. L’idée étant de rester dans les mêmes décors, mais d’offrir une ambiance très différente, où cette féerie de Noël peut faire vite basculer les choses dans un côté un peu effrayant pour certains. »

La résolution de l’intrigue principale ayant eu lieu, la série s’éloigne aussi un peu de la ligne dramatique très pure et radicale du mensonge : « On a eu la tentation en écriture de trouver un nouveau énorme mensonge pour construire cette deuxième saison », explique Fabrice Gobert, « mais ça devenait extrêmement artificiel. Il fallait passer à autre chose. »
Cette deuxième saison laisse donc un peu volontairement de côté Elvira, du moins dans les premiers épisodes, pour donner plus de place aux autres personnages.

« C’est une chose qui a été possible car nous avions apporté un très grand soin au casting de tous ces seconds rôles dès le départ. Ça nous a laissé ensuite beaucoup plus de marge en écriture pour diriger l’intrigue vers un film plus choral. Laisser en quelque sorte "vivre" ces personnages que l’on a créés, les laisser se développer de la manière la plus logique et cohérente possible sans pour autant se sentir obligé de ramener la thématique en avant plan. »
Cette saison 2 traite bien sûr des conséquences des mensonges d’Elvira. Et elle nous raconte également comment elle en est arrivée là.
« En découvrant son itinéraire, et son passé, on comprend pourquoi elle a pris ce risque énorme », explique Fabrice Gobert. « Ce que je trouvais intéressant, c’était aussi de montrer, cette fois-ci, combien la vérité est parfois aussi compliquée à gérer que le mensonge. Une chose qui peut se révéler extrêmement romanesque et à la fois extrêmement dévastatrice dans les relations humaines. »

Travaillant ensemble depuis la première saison des "Revenants", le tandem insiste sur le temps donné à la préparation : « Le rythme de travail sur une série nécessite une grande préparation. On sait qu’on doit aller vite, et faire en moyenne quatre scènes par jour », explique Patrick Blossier. « Les mises en place doivent être précises, rapides. Pour cela, on passe trois semaines avec Fabrice Romaric Thomas (premier assistant réalisateur) et Lara Rastelli (scripte) à repérer chaque décor et à entièrement découper chaque scène à l’aide d’un téléphone équipé d’Artemis. Ces séances sont des moments privilégiés, où le temps nous est donné d’échanger les points de vue, trouver des solutions de mise en scène collectivement. » Fabrice Gobert rajoute : « C’est très agréable, on se connaît tous les quatre depuis maintenant des années, et on met au point peu à peu, sans la pression du plateau, la méthode de fabrication du film. C’est une approche très pragmatique, où tous les éléments sont pris en compte et durant lesquelles on prend même beaucoup de plaisir à incarner à tour de rôle tel ou tel personnage. »

Au sujet du découpage d’ailleurs, Patrick Blossier avoue aimer travailler dans ce soin apporté à la préparation : « A part les scènes de voiture ou celles avec beaucoup de figurants, on travaille avec une seule caméra. Une fois sur le plateau, Fabrice est très précis dans ses demandes », explique-t-il. « Avec lui on fait du cadre. C’est-à-dire qu’on ne va pas à la pêche aux images, en comptant ensuite sur le montage pour trouver des solutions. Chaque scène est étudiée, préparée et tournée en anticipant le montage et en tenant compte des impératifs de plan de travail et de jeu. Et si une scène peut être réalisée en un plan, il n’hésite pas à me le demander. »

Dans la saison 1, par exemple, Fabrice Gobert se souvient de la scène durant laquelle Elvira annonce sa (fausse) maladie à son compagnon. « Marina attend Mathieu dans la chambre, assise sur le lit, et il vient la rejoindre depuis la porte en arrière-plan. On a un moment hésité à couvrir en champ contre-champ car c’était une scène cruciale pour l’intrigue. Mais j’ai tenu à ce plan séquence de 2 minutes, sans raccord, avec les deux comédiens à la fois à l’image. En fait, j’aime ne pas découper quand c’est possible. C’est parfois difficile sur des scènes comiques mais c’est vrai que je suis adepte d’une mise en scène discrète. Et c’est un peu devenu contre toute attente une des marques de fabrique du reste de la série. »

Parmi les choix de production importants, décision a été prise – dès la première saison – de recréer en studio le pavillon de la famille Lambert. « C’est peu fréquent qu’une série pour Arte se tourne en studio à cause du budget », note Patrick Blossier. « Mais cette fois-ci, la production a décidé de mettre le paquet là-dessus. En même temps, vu le nombre de scènes qui se déroulaient dans ce lieu, je pense que c’était une sage décision. Non seulement artistiquement, mais aussi pour la rapidité du tournage et les changements d’ambiance. Bien sûr, rien n’a été tourné dans l’ordre chronologique, et de multiples scènes entre intérieur et extérieur ont parfois été espacées de plusieurs semaines, voire plusieurs mois sur la saison 2, à cause de la situation sanitaire. »
Fabrice Gobert s’explique aussi sur ce choix central : « J’avais besoin vraiment de place pour envisager certaines scènes. Agrandir un peu l’espace... Notamment dans la cuisine, le lieu où se retrouvent souvent plusieurs personnes à la fois. Et puis je voulais que chaque membre de la famille ait son propre univers, pour donner de l’épaisseur à chaque personnage. Le travail de décoration fait par Colombe Raby était tellement juste que les comédiens ont tous été séduits, me confiant par la suite combien ils avaient pu s’appuyer dessus pour leur interprétation. Colombe étant québecoise (ayant travaillé avec Xavier Dolan, par exemple), elle a également distillé plein de petits détails dans cette maison qui vient de là-bas. Un environnement que j’ai veillé à raccorder ensuite avec les décors extérieurs, largement inspirés de l’univers de Jeff Wall, Gregory Crewdson ou Harry Gruyaert. Des photographes qui savent tous, selon moi, mêler le banal à l’étrange et dont Nils Zachariasen, le chef régisseur de la série, s’est inspiré pour dénicher les lieux. »

En parallèle du personnage de Brunet (interprété par Yves Jacques) qui prend soudainement plus d’importance dans la saison 2, le décor du supermarché devient lui aussi récurrent. Fabrice Gobert s’explique : « Moi, j’adore les supermarchés. Ce sont des lieux qu’on ne voit pas si souvent à l’écran en fiction, et qui pourtant sont très visuels. C’est vrai qu’en écrivant la saison 2, on s’est posé la question des lieux dans lesquels on avait envie de revenir, et ce décor s’est imposé. C’est un endroit où on aime filmer, comme pour faire des plans symétriques, très graphiques – par exemple celui où Patrick accompagné de Sam se retrouvent dans le même cadre qu’Elvira dans l’épisode 2, sans même se voir. Faire se retrouver ces deux personnages dans un même lieu, alors que scénaristiquement ils s’évitent, ça nous semblait important. Et bien sûr l’idée de retrouver Brunet qui travaille en tant que caissier, ça nous faisait bien marrer. »

Autre signature de la série, les séquences illustrées par une chanson. C’est, par exemple, l’ouverture de l’épisode 1 sur un long travelling latéral accompagné par Charles Aznavour ("Il faut savoir"). Patrick Blossier explique : « La musique a un rôle pendant le tournage avec Fabrice. Il est d’ailleurs lui-même musicien, et je suis persuadé qu’une partie de son talent de réalisateur vient de sa maîtrise du rythme. Par exemple, il diffuse des morceaux sur le plateau pour mettre l’équipe dans l’ambiance et pour le rythme d’un mouvement. »
Fabrice Gobert précise : « Je trouve que c’est important. Parfois, c’est pour le rythme, parfois plus pour l’atmosphère. Quand on demande à un comédien de marcher, par exemple, entre les rails du travelling, diffuser soudain un morceau extrêmement angoissant va l’aider à complètement dépasser le dispositif technique. Ça synchronise tout le monde, pour preuve, Yves Vandersmiessen, le chef machiniste, m’en réclame désormais même quand je n’avais pas réellement prévu d’en utiliser ! En conséquence, mes choix de musique de plateau sont souvent très premier degré. Très effrayantes, très dramatiques ou très joyeuses... et ce ne sont jamais les musiques que je retiens après au montage. Cela pour éviter tout surlignage de l’effet. »

Questionné sur le thème du mensonge, et sur la comparaison inévitable avec la série de référence en la matière ("Breaking Bad"), Fabrice Gobert répond : « J’admire bien sûr cette série, et j’avais même demandé à Marina de la visionner pour préparer son rôle. Peut-être que ce qui me plaît le plus dedans, c’est que Walter White – tout comme Elvira – sont au départ des acteurs secondaires de leur propre vie. Ils sont entourés de gens qui semblent avoir plus d’aplomb, plus de caractère et de charisme qu’eux. Et pourtant, à un moment, il se réveillent, se révoltent et s’avèrent devenir eux-mêmes d’authentiques personnages principaux dont la gestion des situations et de leurs vies soudain nous impressionne. C’est là où cette saison 2 joue son rôle, pour mettre en lumière peu à peu le cheminement d’Elvira et faire découvrir au spectateur l’étendue de l’engrenage – a priori inimaginable – de son simple mensonge de départ. »

Alors que la saison 2 va être diffusée, le réalisateur et le directeur de la photo s’apprêtent à préparer la production de la troisième partie. Patrick Blossier déclare : « Ce qui m’enchante sur les séries avec Fabrice, c’est d’avoir le sentiment d’y faire plus de cinéma que sur certains longs métrages qu’on me propose. J’ai le sentiment d’être bien utilisé, d’être à ma place en quelque sorte. Et puis il y a aussi ce sentiment d’appartenir à une sorte de troupe qu’on retrouve de saison en saison. Les gens se connaissent, s’apprécient avec une réelle confiance à la fois entre les comédiens et l’équipe technique. »
Fabrice Gobert ajoute : « C’est vrai que depuis quelques années, les séries, même en France, ont pris leurs lettres de noblesse, et qu’en tant que metteur en scène on a désormais une grande liberté. La photo, par exemple, peut tout à fait se permettre des choses encore inimaginables avant. On peut, comme sur "Mytho", prendre des vrais partis pris d’image et de direction artistique. On doit travailler plus vite sur une série puisque le minutage utile à tourner est souvent plus important que sur un long métrage, mais ça ne nous empêche pas de chercher et d’être créatif, comme on essayerait de l’être pour un long métrage. Il faut juste faire cette recherche davantage en préparation qu’au moment du tournage. Ou être extrêmement réactif. »
Cette recherche et ce risque seront-ils donc au centre de la saison 3 ?
« Oui, assurément », répond Fabrice Gobert. « On a trouvé des choses assez gonflées. J’espère que ça marchera ! »

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

Yves Vandersmissen (chef machino), Julien Bullat (DOP caméra 2), Nora Fontaine (assistante opératrice), Quitterie Seguin Medrinal (assistante caméra 2), Patrick Blossier, Marion Peyrollaz (DIT), Maéva Drecq (assistante opératrice), Marc Nové (chef électro) et en bas Julie Angélo (assistante opératrice)