Pour l’avenir de la création

par Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication

La Lettre AFC n°119

Il est en effet clair que la production de spectacles répond à des règles propres, et qu’elle est caractérisée par la discontinuité de l’emploi et la multiplicité des employeurs... Ce qui justifie l’existence d’un régime de protection qui soit propre à ces professions... Le gouvernement ne peut transiger sur ce point.

L’existence de ce dispositif n’est pas étrangère à la vitalité de la création dans notre pays, et elle a permis le formidable essor de collectifs d’artistes en dehors des institutions...
Ma conviction est cependant qu’aujourd’hui la pérennité du régime spécifique d’assurance chômage de l’audiovisuel, du cinéma et du spectacle nécessite une réforme de fond des règles qui le caractérisent, dans le respect bien sûr du principe de solidarité entre les professions.

Un constat est largement partagé : dans son fonctionnement actuel, le système rencontre des difficultés, et il est nécessaire d’en éradiquer les abus. L’Unedic estime que le déficit du régime d’assurance chômage des professions du spectacle s’élevait à 753,5 millions d’euros pour 96 000 allocataires, soit un rapport de 1 euro à 8,37 euros entre cotisation et prestation avant le doublement des cotisations décidé par les partenaires sociaux le 19 juin dernier.
Ces chiffres sont parfois contestés. Mais la tendance lourde, celle d’une aggravation constante et ininterrompue du déficit depuis plusieurs années, est hélas indéniable.

De la même façon, tout le monde reconnaît que la porosité du système a autorisé des abus. Des dispositions imprécises, des mécanismes peu rigoureux, des contrôles insuffisants ont fini par chasser l’emploi permanent, et cela même lorsque le recours à des contrats pérennes était légitime.
Par conséquent, l’ensemble de l’économie du secteur s’est peu à peu reposé sur le système d’assurance chômage, ce qui a conduit aux déséquilibres actuels.

La fixation des règles d’indemnisation du chômage et la gestion du régime d’assurance ressortissent à la compétence des partenaires sociaux réunis au sein de l’Unedic. Il ne saurait être question pour l’Etat de remettre en cause ces principes qui constituent le fondement de l’ensemble de notre protection sociale.
Mais si le gouvernement ne peut pas se substituer aux acteurs naturels du dialogue social et imposer ses solutions, il prend ses responsabilités à la mesure des compétences qui sont les siennes. C’est ainsi que, conjointement avec François Fillon, ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, j’ai pris l’initiative de commander un rapport d’expertise sur le sujet, de façon à éclairer le débat. Ce rapport réaffirme la légitimité d’une protection particulière des professionnels du spectacle, dresse un état des lieux exhaustif des dysfonctionnements et propose un certain nombre de pistes de réformes.
Le 18 février dernier, j’ai présidé une réunion du Conseil national des professions du spectacle, réunion au cours de laquelle j’ai proposé que soient mis en place des groupes de travail sur les questions du contrôle du régime d’assurance chômage, de l’emploi dans le spectacle et de la professionnalisation des employeurs.
Ces groupes réuniront les représentants des organisations professionnelles qui souhaitent s’y associer et les services des deux ministères de la Culture et des Affaires sociales. Ces groupes, qui seront mis en place dans les jours qui viennent, devraient permettre d’identifier et de préparer les mesures que l’Etat pourrait mettre en oeuvre pour accompagner à la fois la réaffirmation et la réforme des annexes VIII et X.

Les organisations professionnelles représentatives de l’audiovisuel, du cinéma et du spectacle doivent rapidement reprendre le dialogue, car - faut-il le rappeler ? - c’est à elles d’agir, et il s’agit là de leur responsabilité. Les constats et les propositions sont sur la table. Elles doivent s’en saisir.
La base de la discussion est fournie par les négociations passées entre les partenaires de la branche, éclairées par les différents rapports que l’Etat a diligentés. Il dépend de leur volonté que des solutions durables soient dégagées. Les industries culturelles et le spectacle vivant sont des secteurs dynamiques dans l’économie du pays, dont l’importance, notamment internationale, n’est pas suffisamment reconnue à sa juste valeur.
L’enjeu de la réforme dépasse donc la seule question de l’équilibre comptable. C’est un enjeu majeur, car il concerne des dizaines de milliers d’emplois et la vitalité de la création dans notre pays. C’est la raison pour laquelle j’appelle de mes vœux l’ouverture de discussions entre les partenaires sociaux dans un climat constructif et responsable de part et d’autre. L’Etat y sera attentif et veillera à ce que l’intérêt général soit respecté et préservé.
(Libération, 25 février 2003)