Projet "Previz" à l’École nationale supérieure Louis-Lumière

Par Christian Guillon

La Lettre AFC n°247

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Les écoles de cinéma du monde entier ont leur congrès annuel, le CILECT.
Cette année, le congrès s’est tenu à Newport Beach, du 13 au 16 octobre 2014, à une heure au sud de Los Angeles, à l’invitation de Chapman University, et le thème des conférences était " Previzualization ".

Ce qu’on appelle aujourd’hui la " prévisualisation " s’inscrit dans le prolongement de la pratique du story board, une évolution passée par les " animatiques " et qui prend la forme désormais d’animations 3D plus ou moins sophistiquées. Certaines prévisualisations peuvent concerner le film en entier et prendre des formes très abouties.
A Los Angeles, des studios, comme Third Floor ou Halon, se sont spécialisés dans cette pratique. Outre l’animation 3D classique, ils utilisent tous les outils les plus récents comme la Simulcam, ou la Performance Capture, soit sur des logiciels de 3D " traditionnels " comme Maya, soit sur des moteurs de rendu temps réel comme " Unity ", normalement dédiés au jeu vidéo. Ils développent avec les metteurs en scène une relation privilégiée, très en amont de la production, au point de troubler parfois le travail des collaborateurs de création, décorateurs ou chefs op’, qui trouvent, lorsqu’ils arrivent sur le film, des parti-pris déjà établis et surtout validés par une imagerie.

C’était l’objet du débat de cette semaine de congrès dans le très " Wasp " hôtel Hyatt de Newport Beach : " Previz or not previz ". L’assemblée était comme toujours divisée entre les anciens et les modernes. Les uns entendent résister à une pratique qui élimine les paramètres accidentels de la production, l’improvisation, l’inspiration du moment, la synergie créatrice de l’équipe de tournage, et prédisent une fois de plus la mort du cinéma.
Les autres voient dans la prévisualisation un outil formidable de communication interne à l’équipe, et de préparation du tournage, outil qu’il faut toutefois maîtriser pour en éviter les dérives. Très paradoxalement, ce n’étaient pas les européens les plus réticents, mais les américains, alors que Hollywood connaît depuis quelques années la généralisation de cette pratique.

Il semble que les écoles de cinéma aux USA soient plus royalistes que le roi dans la défense du cinéma d’auteur qu’ils sacralisent à travers la nouvelle vague française, référence absolue de leur pédagogie. On a vu que des académies moins immergées dans le " cinéma dominant " et bien plus éloignées du modèle hollywoodien, au Portugal ou en Suède par exemple, n’hésitent pas à se lancer sans inhibition dans des expériences pédagogiques très originales et pertinentes, à base de prévisualisation 3D, souvent limitées toutefois par des budgets très européens également.

Pour l’École Nationale Supérieure Louis-Lumière, j’ai présenté le projet de R&D " PREVIZ ", que je porte à l’Ecole, en partenariat avec plusieurs industriels (Technicolor, Loumasystems, Solidanim, Polymorph) et trois laboratoires universitaires (INSA, GipsaLab, LIRIS).
Il s’agit de l’étape d’après, qu’on appelle la " PREVIZ ON SET " : le mélange en temps réel et en direct, sur le plateau, des images en train de se filmer (vrais acteurs et vrais éléments de décor) avec des images de synthèse en train de se calculer (personnages et décors virtuels). Cette pratique est elle aussi en train de se généraliser dans les productions de films à effets visuels, comme outil d’assistance à la mise en scène. Elle permet au réalisateur de voir en direct ce qu’il ne pouvait voir auparavant qu’en postproduction : la composition finale de tous les éléments de l’image. Mais elle lui permet surtout d’agir sur ces éléments, de les diriger ensembles, dans un même geste de mise en scène.

Même chose pour les techniciens, cadreur, chef opérateur, chef décorateur, etc. Des dispositifs, qui mélangent en direct décors virtuels et acteurs tournés sur fond vert, existent déjà, y compris en France (cf. nos amis de Studio 20 qui ont été présents au Micro Salon et qui sont hébergés par Transpmedia).
Pour aller un peu au-delà, le projet " Previz " met l’emphase sur les interactions de personnages (virtuels/réels), et sur des recherches connexes, comme celles sur les " cartes de profondeur ", portée par Technicolor, qui pourraient permettre à terme de se débarrasser des fonds verts, ou le travail de fusion des diverses méthodes de " tracking " caméra temps réel, effectué par Loumasystems pour y intégrer les données fournies par les codeurs installées sur ses grues.

J’ai présenté le " making of " des premières expérimentations faites à l’Ecole en juillet dernier, encore rudimentaires. On peut déjà y voir des étudiants, à la manivelle de la Louma, suivre au cadre deux petits personnages virtuels très " cartoon ", préalablement animés, qui évoluent dans le décor construit pour l’occasion et interagissent avec deux acteurs en chair et en os.
Suivre à l’œilleton des personnages que personne ne voit sur le plateau est une expérience peu commune. Ce type d’outil va redonner liberté et spontanéité à la mise en scène de séquence truquées. Lorsque ce genre de fonctionnalité atteindra le travail du chef opérateur, il pourra régler la lumière virtuelle du décor et la lumière réelle sur les acteurs, en temps réel sur le plateau.
Ce n’était pas encore le cas en juillet, loin de là, et Michel Abramowicz, AFC, que nous avions embarqué dans cette aventure, en est sans doute ressorti un peu frustré. Riche d’idées nouvelles, mais déçu certainement de n’avoir pas encore pu toutes les mettre en pratique, comme nous tous.

On pouvait également voir dans le " making of " les premiers tests in vivo de cartes de profondeurs effectués par Technicolor. Dans des conditions spécifiques d’éclairage adaptées à leur technologie encore un peu fragile, on peut désormais isoler un personnage réel filmé sans fond vert, et le situer précisément dans un environnement 3D complexe avec toutes les informations de distances qui permettent de placer objets et décors devant ou derrière, sans masques ni objets masquants. " Work in Progress ", à suivre…

(En vignette de cet article, les étudiants sur le plateau 1 de l’Ecole en présence de la Louma 2 – Dans le portfolio ci-dessous, trois captures d’écran d’un making off)