Retour sur "La Nuit américaine", en l’honneur de Pierre-William Glenn, son directeur de la photographie

Contre-Champ AFC n°325

Accompagné d’étudiants de l’ENSLL, j’ai filmé la soirée du 8 septembre 2021 où l’AFC rendait hommage à Pierre-William Glenn en projetant, sur grand écran et en plein air, La Nuit américaine, de François Truffaut, qu’il a photographié. Cette vidéo de six minutes vient à la suite, dans cet article et en tant que mémoire visuelle, d’un texte où Gilles Porte, l’un des initiateurs de la soirée, fait l’historique et le récit détaillé de cette nuit qualifiée de « magique ». (Dominique Gentil)

A la veille d’achever le tournage d’un long métrage (Belle & Sébastien 4) qui m’a retenu trois mois dans les Pyrénées, je souhaite revenir sur une nuit de septembre qui a été l’une des plus douces qu’il m’ait été donné de partager avec des étudiants, des "professionnels de la profession", des invités de Pierre-William Glenn et ma fille Syrine, qui s’était jointe à l’évènement...

Laurent Stehlin, membre de l’École nationale supérieure Louis-Lumière, m’avait contacté pour imaginer avec les étudiants et l’AFC une projection en plein air afin de fêter le retour des projections sur grand écran : « Une projection en plein air... Sans masque... Ensemble... Pour saluer une initiative qui avait fédéré et rendu au mot "collectif" toutes ses lettres de noblesse... Pour saluer l’arrivée de la fin de l’été... La rentrée... Pour se retrouver... Pour se rapprocher sous un grand écran et sortir d’une communication sous petits écrans numériques imposés... » Les mots de Laurent fusaient !
C’était fin juillet, début août... Je venais de rentrer du Pérou où j’avais effectué des repérages pour un film qui se tournera plus tard. Je venais de découvrir un pays et le Machu Picchu qui ressemblait à un grand plateau de cinéma vide puisque le Covid empêchait alors tous les touristes de s’y rendre...

J’ai réellement rencontré Laurent Stehlin un peu plus d’un an avant, en mars 2020, alors que j’étais encore président de l’AFC... L’hexagone, et toute une partie du monde, venait de se retrouver plongé pour la première fois dans un confinement qui s’apparentait à l’obscurité pour toutes les salles de cinéma...
Grâce à un lien numérique, Le Procès contre Mandela et les autres[1] avait réuni des étudiants de l’École nationale supérieure Louis-Lumière, de La Fémis, de la CinéFabrique et de l’école Kourtrajmé... Le palais de justice de Pretoria avait alors laissé passer une lumière nouvelle et ce zoom fut le premier d’une longue série de conférences, dites "confinées", entre étudiants et directeurs (ou directrices) de la photo de l’AFC...
Laurent voulait poursuivre cette idée mais en plein air cette fois...

Le film La Nuit américaine s’est très vite imposé à nous deux en raison du sujet du film et de la complicité que j’ai depuis plusieurs années avec son directeur de la photographie. Après avoir convaincu Pierre-William Glenn de cette idée, Guillaume Schiffman – que je savais très près de Pierre William – et le conseil d’administration de l’AFC, il fallait assumer cette idée en plein mois d’août et en plein tournage. Merci à celles et ceux[2] qui ont aidé l’AFC à faire en sorte que ce pari puisse être tenu grâce notamment à un groupe What’sAp qui s’est rapidement créé au sein de notre association. J’ai pu mesurer, encore une fois, ce que le mot "collectif" signifiait et cela pouvait rassurer pleinement Pierre-William qui a tant œuvré pour l’existence de l’AFC...

Comment oublier la décision de maintenir la projection de La Nuit américaine en plein air, alors qu’à quelques heures de la projection les dernières alertes de la météo nous conseillaient de battre en retraite... Fallait-il ou pas laisser un nuage passer ? Cette problématique que chaque directeur (ou directrice) de la photographie rencontre quand il tourne en extérieur s’est rappelée étrangement à nous... Alors chacun, sur le groupe WA, y est allé de son petit commentaire... Si Michel Abramowicz a annoncé qu’« il pleuvra plus tard, mais qu’avant c’est de l’orage » (sic), d’autres ont mis en avant parfois une application numérique sortie du bois. Application dont j’ai souvent mesuré les approximations du haut des Pyrénées ou au cours d’une courses de F1 quand les écuries s’interrogent sur l’opportunité de chausser des "pneus sliks" ou pas. J’avoue que l’idée qu’on trouve une baignoire en argent avec des accoudoirs en or massif pour transporter l’immense Pierre-William si jamais il fallait se replier entre deux mots de Truffaut m’a traversé l’esprit... Une image, avec un gros nuage gris et un immense éclair jaune au-dessous, nous a rappelé qu’Eric Guichard suivait tous les débats de l’AFC. Pour accompagner son iconographie, il avait d’ailleurs ajouté : « Température 22°... Ressentie 27°... Rafales de 26 km/h... 1h prévue de précipitations avec 0,9 mm... Probabilité de précipitation 30 %... pression atmosphérique 1 010,9 hPa... 80 % d’humidité relative ».
Très technique finalement cette projection en plein air !

Pendant que Laurent "est dans le jus" avec Justine et d’autres étudiant(e)s,
j’échange avec Patrick, le dresseur de Belle, pour anticiper ce qui nous attend avec Sébastien au milieu de nuits pyrénéennes qui n’auront absolument rien d’américaines . J’apprends, au passage, que ses chiens (ils sont quatre pour une Belle !) ont une tente, en haut d’un col, avec, chacun un ventilateur car « le Patou n’aime pas la chaleur ! » (sic).
Finalement Laurent et moi décidons de maintenir la projection en extérieur avec l’accord de la société 2AVI et de ses techniciens qui confirment avoir des bâches pour protéger leur matériel et leur immense écran gonflable si jamais... Baptiste Magnien, plus au sud, nous félicite pour cette décision courageuse et nous envoie un rayon de soleil. Dominique Gentil, déjà sur place, envoie une photo, sous le ciel bleu, avec des chaises en velours rouge que Justine, Laurent et des étudiant(e)s posent une par une devant un immense écran gonflable. Guillaume Schiffman s’interroge afin de savoir s’il pourra garer sa moto sur le parking de l’École. Vincent Jeannot suggère, qu’en se faisant passer pour Pierre-William, Guillaume arrivera peut-être à débarquer avec sa Triumph sur scène à l’instar de Marlon Brando dans L’Équipée sauvage... Michel envoie un émoticône qui éclate de rire... Claire Mathon, qui suit les échanges sur le groupe, depuis le début, ne dit rien...

En arrivant, un concert d’étudiants me rappelle qu’il n’y pas si longtemps il nous arrivait de partager des moments qu’on avait mis entre parenthèses.
Puis Pierre-William débarque, immense au milieu des Indiens... Il porte un chapeau de cowboy... beaucoup d’entre nous ne l’ont pas revu depuis si longtemps. Pierre-William sourit. Il n’a cessé de sourire, Pierre-William ce soir-là au milieu de membres de sa famille, amis, confrères, étudiants, anonymes. Tous saluent l’homme sous une partie de sa filmographie qui s’affiche sur le grand écran...

Puis Claire Mathon prend la parole avec autorité. Le silence est d’or. La nuit tombe : « Bonsoir... Pierre-William, nous sommes très heureux d’être réunis aujourd’hui dans la plus grande diversité : étudiantes, étudiants de plusieurs écoles, directrices, directeurs de la photo de l’AFC et d’ailleurs, professionnels du cinéma et amis pour te dire notre estime et notre affection... Grand directeur de la photographie aux multiples collaborations, pédagogue charismatique et exigent, président de la Commission supérieure technique toujours au combat pour le respect de la qualité, tu nous as montrer l’exemple... D’une énergie et d’un engagement sans faille pour que le cinéma reste un art novateur, populaire, un art qui nous réunisse, comme ce soir, devant un grand écran. Au-delà de ton talent, tu as toujours revendiqué une citoyenneté de cinéma qui nous indique la route, parfois le chemin et même le maquis... Aucun, aucune de nous n’a été indifférent à cette leçon de présence au monde... Nous t’en remercions... » (Claire M)

Vincent Lowy, Didier Diaz et Guillaume Schiffman (qui a pu garer sa moto) ajoutent quelques mots qui témoignent de l’engagement d’un homme pour qui la notion de collectif et de fraternité a toujours été placée au centre de ses actes. Dans le ciel un éclair. Peut-être est-ce Bertrand Tavernier qui adresse un signe à son premier directeur de la photographie à qui L’Horloger de Saint-Paul doit tant ?

Revoir La Nuit américaine dans ces conditions était magique et avoir à mes côtés ma fille, Syrine, 19 ans, à qui j’ai imposé tant d’absences à cause des différents tournages était une mise en abyme étrange. Avec elle, j’ai écouté pour la énième fois Truffaut déclarer : « Les films sont plus harmonieux que la vie. Il n’y a pas d’embouteillage dans les films. Pas de temps morts. »
Syrine m’interroge sur la constitution de la neige qui tombe dans La Nuit américaine alors qu’au-dessus de nos tête le ciel se fait plus menaçant...
Devant moi, Pierre-William dévore chaque image de ce film né en 1973... Une époque où Pierre-William conduisait sa Triumph comme Belmondo son cabriolet dans Le Magnifique, sorti sur les écrans très exactement la même année.

Puis la pluie se met à tomber. Après s’être interrogés avec Syrine sur l’efficacité de Bernard Menez, qui joue l’accessoiriste dans La Nuit américaine, sur la propension de ses effets spéciaux à traverser un écran, ma fille et moi nous sommes abrités, laissant le nuage passer. Et voilà comment s’invite dans La Nuit américaine un cinéaste que Truffaut n’avait pourtant pas convoqué au milieu de Bunuel, Godard, Bresson, Scorcese et les autres : le grand écran gonflable qu’on abat sur le sol ne semblait-il pas tiré d’un film du génial Federico Fellini ?
Et puis, comme si les dieux avaient convenu que ce soir il fallait faire une trêve avec celles et ceux dont on dit parfois qu’ils (ou elles) « font la lumière », la pluie cesse et l’écran est redressé... Quelques spectateurs ont disparu mais un énorme noyau d’irréductibles qui (re)découvrent un cascadeur se faire la malle avec une assistante, une comédienne venir au secours d’un comédien afin de permettre à un film de s’achever et Pierre-William sauter sur sa Triumph pendant qu’un mouvement de grue s’élève... Pierre-William, encore présent, qui sourit toujours avec son chapeau de cowboy...

Cette nuit était magique et pleine de grâce parce qu’elle était sans filtre et parce qu’elle n’a dû son existence qu’à la coordination et l’engagement de quelques-uns, comme la naissance d’un film finalement... (Gilles Porte)

[1] Le Procès contre Mandela et les autres
[2] Transpalux, Next Shot, Arri, Airstar, 2 AVI, Panavision, l’École nationale supérieure Louis-Lumière, les étudiants de Louis-Lumière...

Vidéo de la soirée mise en images par Dominique Gentil, AFC


https://vimeo.com/619145294

En vignette de cet article, Pierre-William Glenn vu par Aminata Beye, étudiante en spécialité "Photo" à l’ENS Louis-Lumière (photo recadrée, à voir en format original dans le portfolio).

Dans le portfolio ci-dessous, quelques vues de la soirée – Photos Jérémy Piot et Caroline Sénécal / ENS Louis-Lumière.