Un après et un avant...

par Jean-Noël Ferragut

par Jean-Noël Ferragut La Lettre AFC n°157

Tout cela dès l’instant où les gènes des dignes successeurs des opérateurs Lumière ont petit à petit muté, où ceux-ci se sont mis à utiliser la lumière artificielle, à la travailler, et où ils sont devenus, au fil du temps et des films, des directeurs de la photographie. Mais laissons cette sombre époque aux oubliettes, il y a pour ainsi dire prescription... Fin du premier acte.

Par la suite, durant une bonne dizaine d’années chevauchant les deux siècles, cette lacune fut par bonheur comblée. Période bénie pour nos chères têtes blondes dont on a pu voir la mine des plus réjouie. Fin du deuxième acte, le plus court.
Le dernier acte, lui, se passe aujourd’hui. Et c’est là qu’un après ne fait que commencer ! Un après où l’on pourra, dans les prochaines semaines, voir la mine de ces mêmes chérubins fort marrie. Car la manne a cessé, et pour cause, la personne chargée de la prodiguer a décidé de rompre les amarres, toute affaire cessante, de couper le cordon ombilical qui le liait, malgré une météo parfois orageuse mais grâce à d’étroites relations, à l’école Louis-Lumière. Et ce pour une raison, passez-moi l’expression, bassement matérialiste, n’ayant aucun rapport avec la transmission du savoir : la juste rétribution de ses heures de cours, passées ici et là, renvoyée de façon trop récurrente, selon lui, aux calendes grecques.

Si je fais aujourd’hui ce constat, c’est pour deux raisons. La première est avant tout personnelle. Une fois n’est pas coutume. En effet, avant 1997, l’enseignement auquel je fais allusion ici n’existait pas, ni à Louis-Lumière ni, à ma connaissance, à Vaugirard avant 1968, date à laquelle j’y suis rentré, pas plus, soit dit en passant, qu’à La fémis et peut-être qu’à l’Idhec. Mais quelqu’un me contredira s’il le faut.
L’idée m’est à l’époque venue de proposer à Michèle Tulli, alors professeure principale des élèves en section Cinéma, que Marc Salomon, puisque c’est de notre cher membre consultant et ami qu’il s’agit, mette sur pied un cours qui, étalé sur les trois années d’une promotion, distillerait la connaissance qu’il est l’un des rares chez nous à posséder des images faites par plusieurs centaines de directeurs de la photo, des plus marquants aux plus méconnus. En apprenant simplement à regarder certaines de leurs images avec discernement, à les mettre en perspective, à étudier les éléments essentiels qui les composent - lumière, couleur, effets de mise en scène, etc. - à montrer le travail d’un opérateur sur toute une carrière, les évolutions ou la permanence d’un style. Travail s’appuyant bien évidemment sur la vision d’un certain nombre d’extraits de films. Marc me disait récemment avoir pu montrer aux étudiants de la promotion 2001, la seule qu’il ait pu avoir trois années durant, des extraits de plus de 200 films. Voir ce cours magistral s’interrompre dans l’école qui m’a formé et à laquelle je reste viscéralement attaché m’attriste profondément.

La deuxième raison est d’ordre plus général. Nos deux chères et grandes écoles de cinéma se prévalent l’une et l’autre d’avoir pour intervenants extérieurs quelques-uns des meilleurs " professionnels de la profession " (cf. JLG). Il serait regrettable que, pour de bien terre-à-terre raisons - en l’occurrence des retards de paiements répétés et ô combien irritants lorsque que vous comptez sur eux -, l’ENS Louis-Lumière et l’Education nationale, sa tutelle, tenancière de ce fait des cordons de la bourse, si elles n’y prenaient garde et n’en mesuraient pas ensemble les conséquences, se privent prochainement, en prenant le risque de les décourager, d’un bon nombre des saltimbanques hautement qualifiés que nous sommes.
Souhaitons vivement qu’une solution raisonnable soit trouvée au plus vite afin de pallier ce fâcheux dysfonctionnement qui serait, semble-t-il, purement administratif, afin que, par ricochet, la formation de nos chers étudiants n’en fasse à l’avenir les frais.