Voyage à Mens

Par Agnès Godard, AFC

par Agnès Godard La Lettre AFC n°297

Mens est un très joli bourg entouré des monts du Vercors, le paysage est splendide.
Nous avons retrouvé Caroline et la famille de Jean-Pierre pour déjeuner au café où il avait ses habitudes.

Nous sommes allés au Temple.

« Jean-Pierre Beauviala est un homme à célébrer. »
C’est ce que m’a dit ma fille quand elle a appris sa disparition.

En relatant ses mots, à la recherche de ceux d’aujourd’hui, tout à coup j’ai rayé le mot disparition. Je ne pouvais pas l’écrire.

Au-delà de l’émotion, de la triste réalité, le mot disparition ne convenait pas. Il n’y en a pas.
Comment pourrait-il y en avoir alors que Jean-Pierre Beauviala nous laisse une œuvre qui irrigue le cinéma, passé et en cours, de sa pensée de la sensation du temps dans l’image et le son, le temps universel, celui du monde et des vies, le même confondu.
Les Américains ne se sont pas trompés en lui remettant la plus haute distinction pour son exceptionnelle contribution.

Dès les années 1970, il s’est imposé comme le génial ingénieur de la caméra Aaton, sa caméra, fruit du prolongement de la collaboration avec André Coutant, ingénieur chez Eclair.
En libérant les cinéastes de lourdes contraintes techniques, elle a tout de suite été considérée comme une révolution.
Elle s’est imposée face à toutes les tentatives qui avaient cours ailleurs et qui ne pouvaient plus rivaliser avec la rapidité et le génie de sa conception. Enregistrer la vie, en capter les images et les sons comme on la regarde.

Si beaucoup ne savent pas où se trouve Grenoble en France, ils savent tous en revanche, quelle que soit leur nationalité, que c’est là qu’est née l’Aaton de Jean-Pierre Beauviala.
Là qu’il a pensé au geste et pour mieux l’épouser, à ouvrir une autre fenêtre d’où filmer.

J’ai le souvenir d’avoir arpenté enfant le plateau du Vercors parce qu’on disait que l’air y était bon. Le souvenir aussi des leçons de botanique de mon père, des récits du maquis et de la Résistance.
L’air y est bon, fort et revigorant mais il n’est pas seul à avoir inspiré Jean-Pierre qui ne s’est pas arrêté à sa première création.
Il l’a prolongée sous plusieurs formats puis a poursuivi avec le son.
Après avoir mis au point un système de synchronisation de l’image et du son il a conçu le Cantar, l’enregistreur sonore le plus utilisé aujourd’hui.

Si c’est avec son savoir d’ingénieur qu’il a concrétisé les machines, c’est à l’écoute des cinéastes et de leur besoin qu’il a fondé sa recherche.

C’est peut-être en pensant aux monts du Vercors qu’il a prénommé "Libellule" la petite caméra à laquelle il travaillait encore.

La liste de ses trouvailles est tellement longue que je ne saurai la dérouler entièrement aujourd’hui pas plus que celle des films qui ont utilisé son équipement Aaton.

J’ai reçu hier un courrier en provenance de Los Angeles avec le lien d’un documentaire qui s’intitule La caméra qui a changé le monde.

Il se termine par un plan souriant et malicieux de Jean-Pierre disant ces quelques mots : « Il y a d’autres raisons dans la vie d’être heureux que de faire des caméras, donc modestie, modestie » !

Il n’était donc pas seulement un ingénieur surdoué, ce sont les mots d’un être surdoué, amoureux de l’invention, du cinéma, des humains et de la vie.

Son rayonnement n’est pas prêt de s’éteindre.

Nous sommes allés au cimetière.

Sur la route du retour au café où nous sommes allés boire un verre avant de prendre le chemin de la gare de Grenoble, je suis passée devant la maison que Jean-Pierre restaurait.

Dominique Gentil, Gérard de Battista, François Reumont, Pierre et Martine de chez Aaton, Patrick Leplat et Valérie Lacoste et moi avons été heureux de retrouver Caroline, nous étions presque gais, heureux d’être là.

Un grand merci à Caroline et à la famille de Jean-Pierre pour leur accueil chaleureux.