A Cannes, les distributeurs indépendants affirment être "au bord de l’asphyxie"

Par Clarisse Fabre

Le Monde, 18 mai 2011

Ils sont les rois de la Croisette. Leur nom est accolé aux plus grands films sélectionnés au Festival de Cannes. Le syndicat des distributeurs indépendants réunis européens (DIRE), qui regroupe onze sociétés, a dix films en compétition sur un total de vingt : Le Gamin au vélo, de Luc et Jean-Pierre Dardenne (Diaphana), Habemus Papam, de Nanni Moretti (Le Pacte) ou encore Melancholia, de Lars von Trier (Les Films du losange). Si l’on inclut les autres sections du festival (Quinzaine des réalisateurs, etc.), ils se sont engagés sur vingt-quatre films présents à Cannes.

Chaque année, ils repartent les bras chargés de récompenses. Depuis 2000, neuf films ayant remporté la Palme d’or à Cannes figuraient dans leur catalogue : Oncle Boonmee..., d’Apichatpong Weerasethakul en 2010 (Pyramide), Le Ruban blanc, de Michael Haneke en 2009 (Les Films du losange), Entre les murs, de Laurent Cantet en 2008 (Haut et Court), etc. Pour être complets, ajoutons six Grands Prix du jury et six Caméras d’or depuis le début de la décennie.

Pourtant, le roi se sent un peu nu. Le syndicat DIRE vient de rédiger un " livre blanc " dans lequel la profession est décrite comme étant "au bord de l’asphyxie". Dans un climat de concurrence intense et de surchauffe dans la production (261 films produits en 2010), la durée d’exploitation d’un film en salles est de plus en plus courte, tandis que les frais de sortie s’alourdissent (fabrication des copies, affiches...).
De plus, il n’est pas rare que les distributeurs contribuent au montage financier des films, en versant un minimum garanti au producteur. Au final, pourtant, le retour sur investissement est plus qu’aléatoire. Le partage des recettes entre l’exploitant et le distributeur – qui prévoit que 50 % des bénéfices soient reversés au distributeur durant les deux ou trois premières semaines en salles, le taux devenant dégressif au-delà – est qualifié d’opaque par le syndicat.

Autre problème, la promotion à l’intérieur et autour de la salle, autrefois prise en charge par l’exploitant, incombe de plus en plus souvent au distributeur. « Il faut payer pour pouvoir passer la bande-annonce, pour mettre des affiches dans le hall et même pour avoir la couverture du magazine du cinéma », résume Anne Pouliquen, déléguée générale de DIRE.
Pour récupérer leur mise et répartir équitablement les dépenses de promotion entre exploitants et distributeurs, le syndicat DIRE propose un dispositif aussi simple que provocateur : déduire ces frais du montant des recettes, avant le partage de celles-ci.
La Fédération nationale des cinémas français (FNCF), qui rassemble toutes les salles (5 400 écrans), n’a pas souhaité réagir, mais l’un de ses responsables s’étrangle, sous couvert d’anonymat : « DIRE veut passer au gratuit. C’est incompatible avec l’économie actuelle. »
Voilà de quoi nourrir les travaux de Michel Gomez : le délégué général de la mission cinéma à la Ville de Paris a été chargé par le Centre national du cinéma (CNC) de préparer un rapport sur la transparence des recettes dans la filière. Remise de la copie fin juin.

(Clarisse Fabre, Le Monde du 18 mai 2011)