À propos de Joan

C’est un film d’un réalisateur, Laurent Larivière, qui aime profondément et sincèrement le cinéma. Il aime questionner le rapport à la fiction, au récit, qui est comme mis en abîme par le film. Comment se raconte-t-on notre vie, pour la vivre ? Comment survivre à la vie par le récit ? Fuite ou réalisation par le mensonge, l’esquive, le déni, l’imaginaire ?

J’ai beaucoup aimé le scénario dont le ton était particulier, très joueur ; oscillant entre des choses drôles, surprenantes, tragiques. L’écriture était précise. Les dialogues étaient souvent acerbes, très caustiques (notamment grâce au co-scénariste du film, François Decodts)
À propos de Joan est mon troisième film avec Isabelle Huppert. Et ce fut à nouveau un grand plaisir de retrouver son espièglerie, sa fantaisie et son plaisir du jeu.

IL y a un plan dans le film que j’affectionne particulièrement et dont j’ai envie de faire le récit ici, c’est le plan de la piscine et de la chute de l’enfant dans l’eau. Dans le scénario, il est écrit ainsi :
EXT. FLASHBACK - MAISON DE CAMPAGNE MARIPOSA - PISCINE - FIN 38. DU JOUR
Les vacances d’été dans la maison de campagne familiale, Mariposa. Soleil doux de fin d’après-midi.
Joan s’est assoupie au bord de la piscine. Nathan (6 ans) joue dans l’eau.
Lent travelling avant : le mouvement nous rapproche de Nathan, il s’est inventé un jeu avec un personnage imaginaire qui l’assaille. On continue d’avancer, on dépasse Nathan, et on s’approche de Joan. On entend à présent Nathan, sans plus le voir : il tousse, crache, s’agite, puis plus rien. Le mouvement se termine sur le visage de Joan, endormie.
Le silence.

L’histoire de ce plan est longue et très laborieuse. Il a donné lieu à de longues discussions, complexes et extrêmement tendues en préparation. Il coûte cher car il faut une grue pour passer au-dessus de l’eau et une tête télécommandée et du monde dans l’équipe.

Le plan de la piscine
Le plan de la piscine

L’eau de la piscine n’était pas chauffée et nous avons tourné en octobre ce plan dans la région de Roanne, l’eau était à 14 degrés environ. Pleins d’hypothèses ont été émises sur la possibilité de chauffer l’eau, toutes rejetées pour des questions d’argent ou de faisabilité/non efficacité.
La météo du jour prévu pour tourner était pluvieuse nous avons changé tout le plan de travail pour avoir du soleil ce jour-là (là aussi, une hypothèse jamais garantie).
Nous avons installé la grue et répété le plan avec Gaston Grandin, mon machino, un grand nombre de fois sans enfant dans le champ. En tout, cela a pris une demi-journée d’installation/répétition. Au moment de tourner, tout le monde était très angoissé de mettre l’enfant dans une eau si froide, qu’il accepte de rester et qu’on croit au fait qu’il joue, sans avoir les lèvres bleues… (Il y avait bien sûr un pompier prêt à bondir.)

Gaston Grandin, à droite
Gaston Grandin, à droite

A peine l’enfant dans l’eau nous lançons le moteur. La caméra descend doucement le long des arbres ; j’étais tiraillée au cadre par le fait de garder la douceur/lenteur du mouvement et que l’enfant soit encore dans l’eau quand j’arrive sur lui.
Puis la caméra passe au-dessus et il tombe dans l’eau à la seconde où la camera le quitte ce qui n’était évidement absolument pas prévu. Je trésaille de plaisir à l’intérieur de ce cadeau inespéré du ciel. On va jusqu’au bout du plan ; je dis à Laurent, extrêmement émue : « On l’a ». Il me regarde incrédule : « Mais non on va la refaire ». Il regarde la prise au moniteur. On n’en a fait qu’une.

Gaston Grandin et Céline Bozon - Photo Claire Nicol
Gaston Grandin et Céline Bozon
Photo Claire Nicol
L'équipe image autour de Céline Bozon - De g. à d. : Éric Gies, Maxime Boisbeaux, Jean-Baptiste Lorti, Mathias Sabourdin, Gaston Grandin et Alice Rebetez
L’équipe image autour de Céline Bozon
De g. à d. : Éric Gies, Maxime Boisbeaux, Jean-Baptiste Lorti, Mathias Sabourdin, Gaston Grandin et Alice Rebetez

C’est un film sur trois époques donc j’ai utilisé une série d’optiques pour le passé (Irlande et Allemagne), les Cooke S4, et une série H pour le présent.
Grace à Panavision et Patrick Leplat, j’ai pu utiliser les optiques de Ridley Scott qui s’étaient retrouvées bloquées par le Covid, la série H ; c’est une série d’optiques très rare, très douce, très déformante, comme je les aime.
C’est le premier film que j’étalonnais avec Yov Moor. Et ce fut un grand plasir, la découverte d’un geste qui prolongeait le mien à un endroit que je n’aurais pas soupçonné, ou dans lequel je ne me serais pas aventurée seule.

Bande-annonce officielle


https://youtu.be/GtsAbK7AW6k

Dans le portfolio ci-dessous, quelques photogrammes extraits d’À propos de Joan.

Portfolio

synopsis

Joan Verra a toujours été une femme indépendante, amoureuse, habitée par un esprit libre et aventureux. Lorsque son premier amour revient sans prévenir après des années d’absence, elle décide de ne pas lui avouer qu’ils ont eu un fils ensemble. Ce mensonge par omission est l’occasion pour elle de revisiter sa vie : sa jeunesse en Irlande, sa réussite professionnelle, ses amours et sa relation à son fils. Une vie comblée en apparence, mais qui cache un secret auquel elle va devoir faire face…