A propos de "Valérian", de Luc Besson : Thierry Arbogast, AFC, directeur de la photo

Par Ariane Damain Vergallo pour Ernst Leitz Wetzlar

par Ernst Leitz Wetzlar La Lettre AFC n°278

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Pour le nouveau film de Luc Besson, Valérian, il y a eu quatre mois de préparation intense. Luc Besson a d’abord réuni tous les chefs de poste : Hugues Tissandier, le décorateur, Olivier Bériot, le costumier, et Thierry Arbogast, le directeur de la photographie. Il leur a raconté l’histoire de Valérian puis une lecture du scénario a été faite et il leur a montré des dessins afin de les immerger dans le monde particulier de la bande dessinée de Christin et Mezières, parue en France dans les années 1970, dont est tiré le film.
Thierry Arbogast - Photo Ariane Damain Vergallo, prise au Leica M et Summicron-C 50 mm
Thierry Arbogast
Photo Ariane Damain Vergallo, prise au Leica M et Summicron-C 50 mm

Ensuite Luc Besson leur a demandé de plancher à leur tour et de lui rapporter des images qui seraient une base de travail et de réflexion avant le tournage. Thierry Arbogast a fait appel à une graphiste chinoise qui, sur ses indications, a produit une vingtaine de dessins. Puis il a plongé dans des archives photo ; la rue dans les métropoles asiatiques, le soleil qui perce dans les rues étroites des souks de Marrakech et il s’est souvenu de films qui l’ont souvent inspiré pour leur lumière ; Les Duellistes, Blade Runner, de Ridley Scott, et Le Parrain, de Francis Ford Coppola.
Sur les 80 images fournies par Thierry Arbogast, Luc Besson en a apprécié certaines et rejeté d’autres. Ils se sont mis d’accord sur une image colorée, lumineuse, avec un contraste pas trop agressif puis chaque séquence a été décortiquée pour en révéler son univers propre. Enfin, avec Hugues Tissandier, le décorateur, ils ont été partisans d’insérer des sources lumineuses dans les éléments de décor.

Parallèlement plusieurs essais se sont mis en place :

  • Des essais de projecteurs LED – LC10 et Sky Pan 60 de chez Arri – et surtout des essais de rubans de LEDs. Un véritable casting a même été effectué car il y avait des problèmes de flickering venant des ballasts. Des essais ont été faits à 24 et 48 i/s et une dizaine de ballasts a été éliminée.
  • Des essais (et de nombreuses réunions) avec les trois compagnies d’effets spéciaux SFX de Nouvelle Zélande (Weta), USA (ILM de George Lucas) et France (Mikros image) qui ont fait fortement pencher la balance vers le Super 35 plutôt que l’anamorphique pour des raisons de poids informatique et de géométrie de l’image.
    Toutes les optiques ont ensuite été encodées, ce qui a valu, à l’issue du tournage, les félicitations du département SFX car 100 % des métadonnées avaient été récoltées, ce qui est rarissime.
  • Des essais de caméra avec la Sony F65, l’Alexa XT, l’Alexa 65 et la RED à l’issue desquels l’Alexa XT a été choisie.
  • Enfin des essais poussés d’optiques fixes, les zooms ayant déjà été choisis : l’Alura 18-80 mm et l’Angénieux Optimo 24-290 mm, entre les Master Primes de Zeiss, les Cooke S4 et les Summilux-C de Leica.
L'Arri Alexa XT équipée d'un Leica Summilux-C 35 mm sur le plateau de "Valérian" - © EuropaCorp
L’Arri Alexa XT équipée d’un Leica Summilux-C 35 mm sur le plateau de "Valérian"
© EuropaCorp

Depuis leur première collaboration en 1990 sur le film Nikita, Thierry Arbogast et Luc Besson ont toujours préféré ne pas mettre de filtre sur les optiques car ils apprécient l’image telle qu’elle est. Aussi la douceur et la luminosité étaient les critères principaux du choix des objectifs. Ils ont préféré les optiques Summilux-C de Leica aussi pour leur aspect pratique, léger, moderne, avec un joli bokeh et du charme.

Le tournage de Valérian s’est fait principalement à deux caméras. Les focales fixes Summilux-C ont été privilégiées quand la caméra était sur le Steadicam, lors des scènes de nuit ou en basse lumière et quand tout simplement Thierry Arbogast le souhaitait pour une qualité d’image particulière.

Valerian est le premier film que Luc Besson tourne intégralement dans les studios de La Cité du Cinéma, dont il est le fondateur, puisque sur les sept mois qu’ont duré le film, seule une semaine a été tournée aux Bahamas.
Étant constamment sur place, cela lui a permis d’être aux commandes de tous les essais, de les visionner et de valider ses choix quasi en temps réel.
Sur le tournage, Thierry Arbogast, prélightait et filmait avec une doublure tous les décors qu’il montrait ensuite à Luc Besson qui lui disait alors si la lumière lui convenait. Une telle minutie et un tel travail montrent le degré d’exigence de ce film hors normes, tant pour le budget – le plus élevé du cinéma européen depuis que le cinéma existe – que pour la durée du tournage et la place des effets spéciaux ; en effet presque 90 % des plans sont concernés par les SFX.

Luc Besson écrit, produit, réalise ses films et surtout il les cadre intégralement en caméra principale. Thierry Arbogast apprécie son travail de cadreur qui se caractérise par un goût de la symétrie très rare en Scope et qu’on retrouve chez Stanley Kubrick ou dans le cinéma japonais. Un goût de l’épure, de la simplicité.

Dane DeHaan, Luc Besson, caméra et optique Leica à l'épaule, et des membres de l'équipe sur le tournage de "Valérian" - © EuropaCorp
Dane DeHaan, Luc Besson, caméra et optique Leica à l’épaule, et des membres de l’équipe sur le tournage de "Valérian"
© EuropaCorp

Luc Besson aime centrer le personnage que ce soit en très gros plan ou en plan très large. Avec ce travail particulier de cadre, Thierry Arbogast propose souvent une amorce dans le sens de la lumière et du regard, la partie vide étant contrebalancée par l’ombre ainsi créée.

Luc Besson travaille axe par axe, au fur et à mesure, dans un souci de simplicité et d’efficacité et fait systématiquement des champs et des contrechamps pour les scènes de comédie. Avec les années, les plans séquences sont apparus plus nombreux qu’au début de leur collaboration.
Thierry Arbogast ne reçoit pas de directive particulière pour la lumière. Il éclaire avec deux effets qu’il aime particulièrement :

  • Le Cross Light ou lumière latérale un peu haute venant de la gauche, une lumière un tout petit peu décalée de manière à n’éclairer qu’un côté du visage tout en attrapant l’œil qui est dans l’ombre.
    Cette lumière des peintres jusqu’au dix-neuvième siècle, avant qu’ils ne sortent de leurs ateliers d’artiste et ne deviennent des impressionnistes se saisissant de la lumière du soleil.
  • Le Top Light qui est tout simplement une lumière douce qui surplombe les comédiens et permet de faire disparaître leurs yeux dans l’ombre quand ils baissent le visage puis de les faire réapparaître quand ils le lèvent. Une technique de lumière utilisée à merveille par Gordon Willis dans Le Parrain et que Thierry Arbogast avait reprise dans Léon, de Luc Besson.

Thierry Arbogast reconnaît que le tandem formé avec Luc Besson a été idéal pour se consacrer pleinement et uniquement à la lumière de Valérian.
« On évolue, on progresse, on s’améliore. Quand les bases sont là, ça fonctionne. »