Améliorer la qualité du regard du spectateur...

par Pierre-William Glenn

par Pierre-William Glenn La Lettre AFC n°159

C’était un drôle de choix de ma part que de répondre à l’invitation de la FNCF à Lyon plutôt que d’être à Los Angelès pour assister à la projection organisée par la CST de la première postproduction européenne en 4K du film Paris je t’aime, fleuron d’un savoir-faire français. Je devais remettre le Prix Vulcain 2006 de la CST à Stephen Mirrione, chef monteur du film Babel très remarqué cette année à Cannes. C’était un drôle de choix que d’aller entendre le superbe travail, rationnel constructif et intelligent de Daniel Goudineau se faire brocarder de la pire manière qui soit, plutôt que d’être en Amérique pour la reconnaissance, les félicitations et... la modernité.

Est-il utile de rappeler que l’ignorance finit toujours par coûter plus cher que la recherche et la curiosité, que l’amélioration de la bougie n’a jamais développé l’électricité avant de témoigner d’avoir entendu une forte personnalité du cinéma conseiller aux exploitants français, avec une apparente conviction, d’améliorer la qualité de la moquette de leurs salles plutôt que celle de leurs projections et de bricoler leurs appareils 35 mm jusqu’à la dernière extrémité !!! En attendant que la solution ne vienne d’ailleurs, suivez notre regard vers l’Ouest...

L’erreur de Daniel Goudineau, il y en a une, a été d’oublier de préciser la qualité supérieure de la chaîne numérique complète, de la captation numérique (même si la captation film reste à ce jour la meilleure) avec la dernière génération de caméras (type Genesis de Panavision, D20 d’Arri, Viper de Thomson ou Dalsa Origin canadienne), à la projection en salle après une postproduction numérique. Cette chaîne représente un progrès technique considérable, largement supérieur en possibilités créatives à celui du passage de l’orthochromatique au panchromatique, de l’arrivée des enregistreurs de son portables, des caméras légères, des HMI, j’en passe des évolutions - et des plus importantes - comme les pellicules grain fin et ultra sensibles ou les objectifs grande ouverture...

Toute nostalgie mise à part, toute référence amoureuse à la pellicule, au 35 mm que j’ai eu le bonheur de toucher, manipuler, charger, triturer, couper, impressionner, pendant une longue carrière d’homme d’image.

L’indéniable supériorité de la chaîne numérique complète n’est même plus d’actualité. Elle est de plus amenée à augmenter dans nos domaines d’activité cinématographique. Les plus réticents au progrès d’entre les exploitants le reconnaissent en privé après les projections numériques que nous supervisons au Festival de Cannes depuis plusieurs années. Les comparatifs de brillance, de contraste, de luminance, de fixité sont connus, publics et nous sommes prêts à les réargumenter aux exploitants de bonne foi - la majorité de ceux-ci - qui ont lu ne serait-ce que... le guide d’assistance technique pour la salle de spectacle cinématographique édité par nos services...

Nous avons en France des artisans géniaux comme, pour ne citer qu’eux : Jean-Pierre Beauviala, qui finalise une Pénélope Aaton comme caméra hybride film - numérique, Pascal Chedeville, membre de la CST, un des inventeurs du LCConcept, qui a révolutionné la technique du son en salle. Notre haut niveau d’inventivité a un besoin vital d’exploitants tournés vers la modernité. Les propositions réalistes de Daniel Goudineau sur le sujet correspondent à la défense de l’identité culturelle française et au modèle envié par le monde entier.

La transition prendra le temps de la raison, raison qui se doit être, répétons-le, d’ordre artistique autant qu’économique. Si le rapport l’évitait avec trop de prudence, le mot inéluctable qualifie la chaîne numérique complète. Sachons la mettre en œuvre ensemble, en préservant l’indépendance de programmation, le secteur Art et Essai et la régulation du CNC. Contre tout intérêt minoritaire et partisan, contre toute parodie passéiste réexaminons ensemble au plus vite le magnifique travail, bêtement ridiculisé, au dernier congrès de la FNCF.

Pendant ce temps, les professionnels d’Hollywood, au Pacific Theater, acclamaient le système français de numérisation de codification, de sécurisation de transport et de projection du film Paris je t’aime organisé par la CST, Commission supérieure technique de l’image et du son, génial outil de recherche, d’expertise, de transmission du savoir, d’information, de régulation que j’ai l’honneur de, bénévolement, présider...