Au festival de Locarno, 9 m2 pour deux, par Jimmy Glasberg

par Jimmy Glasberg La Lettre AFC n°146

Après un périple à travers l’Italie du Nord, je redécouvre le lac Maggiore et Locarno, la cité très tessinoise où notre collègue Renato Berta a grandi...

Le peintre Valerio Adami, que j’ai été content de retrouver, a dessiné l’affiche du festival. Il est membre du jury de la compétition internationale dont Vittorio Storaro est le président... Une rétrospective est faite au maestro italien de la photographie.

A Venise c’est le Lion, à Berlin c’est l’Ours, à Locarno c’est le Léopard qui est le symbole du festival. La couleur jaune tachetée a donc envahit la ville. Tentures, décoration de vitrines de bijouterie, de supermarché, de pompe à essence, de bars, menus de restaurant, serviettes en papier, T-shirts, gourmettes, bandanas, colliers sont tous confectionnés en imprimé léopard.

Le sac offert aux festivaliers est aux couleurs locales bien sûr, donc j’ai porté ma peau léopard pendant trois jours.

Rétrospectives et hommages ont lieu tous les soirs sur la Piazza Grande, sept mille spectateurs assistent à des projections en plein air.

Déjeuner : Risotto aux porcini au côté du très célèbre producteur Jeremy Thomas : mégot aux lèvres, lunettes noires, il m’a séduit par son look de " Parrain " old style !!! Une race en voie de disparition.

Mercredi 10 août.18 h 15 - Salle Fevi
C’est un gymnase, où plutôt une salle polyvalente aménagée en méga salle de projection, pouvant contenir jusqu’à trois mille cinq cents spectateurs.
Les sièges sont posés sur un plan incliné pour que la vision de l’écran soit possible jusqu’au fond de la salle. Au-dessus des derniers gradins, la cabine de projection très bien équipée. Les parois sont tapissées de tentures noires épaisses - pas de peau léopard heureusement !!! Des enceintes acoustiques sont suspendues tous les deux mètres de chaque côté. L’écran, de dimension correcte pour une salle standard, devient un élément du décor lorsque vous êtes au fond du gymnase.
Présenter notre film, dont le sujet est la relation entre deux hommes enfermés dans une cellule de prison de 9 m2, dans un tel espace était une gageure.
Afin d’avoir un point de vue d’ensemble, une vision distancée, je décide de m’installer sous le faisceau du projecteur au dernier rang. Je voyais l’image au fond d’un parterre de nuques, le public et l’écran faisaient un tout dans cet espace insolite, je pensais à la magie de la projection du cinématographe Lumière. Je ressentais les respirations, les rumeurs, les vibrations, les rires, les silences, l’émotion de l’audience. La salle obscure de projection demeure notre référence cinématographique. Lorsque la finalité filmique d’une œuvre est destinée aux salles de cinéma, le film doit être impérativement visionné et jugé sur un écran de projection cinématographique. Il est hélas trop courant aujourd’hui, que la K7 VHS visionnée entre deux coups de fil dans un bureau, soit le critère de jugement d’un film.
Cette première projection cinématographique m’a récompensé de notre ténacité.

Vendredi 12 août 16 h - Cinéma Otello Ascona
La salle de cinéma du centre d’une petite bourgade très helvétique : Ascona. Situé à 10 minutes de Locarno.
Troisième projection du film. Fauteuils de velours, style années cinquante, restaurée et moelleuse, la salle est au trois-quarts pleine. Je choisis, cette fois, de m’asseoir au centre, je suisconfortablement installé. Les spectateurs m’environnent. La lumière s’éteint lentement.
Générique. Silence. Le film commence. Tout de suite je note :
Le niveau sonore est maintenant à sa juste valeur, l’image à sa juste taille : je suis dans une vraie salle de cinéma... L’impact dramatique de certaines séquences prend toute sa résonance. Le confort de la salle de vision, la qualité de la projection, l’écoute, sont donc des éléments essentiels de la chaîne, nous le savons, mais je crois que plus que jamais il faut être vigilant. Ces mégas espaces de vision aux technologies sophistiquées font perdre parfois au cinéma sa dimension sensuelle et humaine.
On vient de m’apprendre que la méga salle du Gaumont Italie a fermé ses portes. Comment interpréter cet événement ?
Peu importe tant qu’il restera encore des salles aux dimensions humaines qui programment des films hors normes, des films non formatés, des films libres.
Je vous présenterai donc, courant de l’automne en avant-première, dans une salle qui n’est pas encore déterminée, le film 9 m2 pour deux qui sortira sur les écrans début 2006.