Cannes, théâtre privilégié de la révolution numérique

par Nathaniel Herzberg

La Lettre AFC n°188

Cannes qui rit, Cannes qui pleure... Le cliché a toujours servi sur la Croisette à l’heure du palmarès. Cette année, grandeurs et misères s’étalent sur un tout autre terrain : celui des mutations technologiques et de leurs conséquences sociales. Tandis que la Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia (Ficam) appelle l’Etat à l’aide face à « la disparition de la quasi-totalité des activités » de la filière chimique, Christie, premier fabricant de projecteurs numériques, triomphe.

La révolution est en marche. Au 31 mars, 460 salles sur les 5 500 implantées en France étaient équipées en numérique. Le chiffre peut paraître modeste. Mais il y a trois ans, les cabines numériques restaient des raretés. Et si le Festival doit donner la tendance, alors elle est claire : sur les 53 films en sélection officielle, 50 bénéficient d’une copie numérique, avec en ouverture, grande première, un dessin animé en 3D.
L’aubaine pour Christie. L’entreprise californienne, détenue par le japonais Ushia, contrôle en effet 75 % du marché mondial. Partenaire du Festival, il truste les salles cannoises et projette de faire de même en France. A raison de 50 à 100 nouveaux écrans par mois, il pronostique une bascule totale du parc national d’ici à cinq ans. Sécurisation des contenus, adaptabilité parfaite avec la projection en relief, protection de l’environnement, le numérique ne manque pas d’atouts. Surtout, il promet aux distributeurs une économie substantielle sur les frais de copie.

Là commence justement le malheur de la filière chimique. Depuis des décennies, les laboratoires tirent de nombreuses copies à prix d’or. A elle seule, l’activité représente « 50 % du chiffre d’affaires et 150 % des profits » des entreprises de postproduction, estime Thierry Forsans, PDG du groupe Eclair. Qu’elle disparaisse, et tout le secteur perd l’équilibre, entraînant 1 200 emplois au tapis.
Mais que faire ? « Ralentir la mutation », comme le rêve Thierry de Ségonzac, président de la Ficam. « Sûrement pas », réplique Véronique Cayla, déléguée générale du Centre national de la cinématographie. « Deux technologies veut dire deux fois plus de frais : la période de transition est celle qui coûte le plus cher », dit-elle. La Ficam réclame alors un « fonds d’urgence de mutation numérique » doté de 50 millions d’euros. Au CNC, on estime avoir donné 25 millions en cinq ans. « C’est déjà beaucoup. »
(Nathaniel Herzberg, Le Monde, 22 mai 2009)