Christine Albanel veut bousculer les règles de la production audiovisuelle

par Guy Dutheil et Macha Séry

La Lettre AFC n°170

Le Monde, 9 octobre 2007

« Supprimer les incohérences croissantes de la législation actuelle entre producteurs et chaînes de télévision », telle est la mission que la ministre de la culture et de la communication, Christine Albanel, vient de confier à David Kessler, directeur de France Culture, ancien directeur du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et du Centre national de la cinématographie (CNC), et à l’ancien député UMP Dominique Richard. Il s’agit de simplifier le circuit de circulation des oeuvres, principalement des fictions.

En témoigne le Mipcom (marché international des programmes de télévision) qui se tient à Cannes du 8 au 12 octobre. Il suffit d’un rendez-vous unique à un client japonais pour acheter 200 heures de fictions et documentaires à la BBC. S’il est intéressé par des téléfilms français diffusés par TF1, France 2 ou Arte, il lui faudra passer par une kyrielle de stands tenus par autant de petits producteurs français.
Pour la ministre, la faute en revient aux décrets Tasca de 2000 qui voulaient favoriser la production indépendante. Elle juge que ces décrets, qui ont fixé un rapport de forces entre les producteurs et les chaînes hertziennes, ne sont plus adaptés au marché et aux nouveaux modes de consommation de la télévision. En vertu de ces textes, les chaînes hertziennes ne peuvent produire en interne qu’un tiers des œuvres d’expression originale française qu’elles diffusent. Pour les deux autres tiers – séries, téléfilms, documentaires dont elles sont coproductrices –, l’argent qu’elles investissent ne leur garantit qu’une exclusivité limitée de diffusion. Fixé à 18 mois, ce délai peut être porté à 42 mois avec une rediffusion.
En moyenne, les chaînes contribuent pour 57 % du budget d’une fiction française. Or, ce genre de programmes est celui qui façonne le plus leur image de marque. C’est la raison pour laquelle, elles ont tendance à bloquer les fictions qui constituent leur identité éditoriale. Les chaînes qui ont coproduit des téléfilms ou des séries peuvent, en cas de proposition d’achat par un concurrent, en préempter les droits de diffusion. En contrepartie, elles reversent une somme au producteur. Impossible, par exemple, de voir ailleurs que sur TF1 ou sa filiale TV Breizh les premiers épisodes de Navarro.

Substantiels revenus
Les chaînes ne disposent donc pas d’un catalogue de fictions et de séries à la différence des Etats-Unis et de l’Angleterre. Interdite de publicité, la BBC tire, en revanche, de substantiels revenus de la vente à l’exportation de productions internes et de produits dérivés (1,5 milliard d’euros), à l’exemple de la série d’animation pour enfants Les Teletubbies qui connaît un succès mondial.
Si les producteurs restent détenteurs des droits VOD (vidéo à la demande) des documentaires et fictions, les diffuseurs leur interdisent souvent, par contrat, d’en disposer sans leur accord, pendant la durée d’exploitation. Un manque à gagner dommageable pour eux. Autre bizarrerie, les chaînes ne peuvent empêcher que leurs concurrentes commercialisent (DVD, VOD) des téléfilms qu’elles ont financés.

Le gouvernement souhaite aller vite. MM. Kessler et Richard devront présenter leurs premières propositions à la mi-décembre. Une version définitive est attendue début 2008 pour une traduction dans la loi au printemps afin que les diffuseurs puissent établir leur budget 2009 sur la base du nouvel accord.
L’enjeu de la mission est de constituer des groupes audiovisuels puissants, sans bousculer radicalement l’équilibre d’un secteur déjà fragile. En 2006, 660 sociétés de production ont alimenté les chaînes en programmes. Mais cette diversité cache une forte concentration : 9 % d’entre elles ont totalisé la moitié du volume d’heures produites.
(Guy Dutheil et Macha Séry, Le Monde, 9 octobre 2007)

Quelques chiffres
4 072 heures de programmes ont été produites, en 2006, sous la forme de fictions, documentaires, séries d’animation et spectacles.

1,352 milliard d’euros a été investi dans les oeuvres télévisuelles, soit 11,6 % de plus qu’en 2005.

770 millions d’euros, dont 519 millions d’euros dans la fiction française, c’est l’apport des diffuseurs français. Les chaînes étrangères ont contribué à hauteur de 103 millions d’euros, avec des coproductions.