Claire Mathon, AFC, en double page du "Film français"
Les débuts
[...] Le directeur de la photographie Eric Gautier, que j’avais rencontré au moment de mon mémoire de fin d’études, m’avait encouragé en me disant : « La meilleure façon d’apprendre, c’est de faire ses images, d’opérer ses propres choix, de s’écouter et de former son regard. » Cela a résonné. Faisant beaucoup de courts métrages, j’ai eu le plaisir que mon nom circule, ce qui m’a amené des propositions très variées. J’ai pu en pratique comprendre mes goûts et exercer mon regard en faisant des rencontres. A une autre échelle, j’avais déjà ce que je vis aujourd’hui, on m’appelait parce que j’avais fait des images et on me proposait alors de nouvelles collaborations.
La voie à prendre pour réussir à se faire un nom
C’est une question difficile. C’est un métier de réputation, et ça l’est à toutes les étapes. Je crois qu’il faut être la plus sincère dans ses choix. Quand j’étais à l’école, l’apprentissage était quasiment exclusivement en 35 mm, j’ai appris, grandi et rêvé en film. C’était la période du Dogme. A l’époque, on était loin d’imaginer que le cinéma effectuerait ce virage vers le numérique. Mais en y repensant aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir acquis des bases suffisamment solides pour m’adapter aux outils et aux changements de nos pratiques. Malgré toutes ces évolutions, je crois que le plaisir, l’expérimentation et l’exigence ne m’ont jamais quittée.
Filmographie et tendance du cinéma : La Vie au ranch, Angèle et Tony, Polisse, L’Inconnu du lac, Les Deux amis, Une vie violente.
[...] On me dit souvent que j’ai fait des films très différents dans leur approche, dans leur langage. J’ai autant de plaisir à l’improvisation, à un cinéma sur le vif qui cherche à capter le réel qu’à un cinéma plus écrit, découpé, où l’on travaille avec précision le rythme des plans. Evidemment, il y a des liens au sens large dans tout ce cinéma d’auteur. Mais en même temps, c’est tellement difficile de définir ce qui peut réunir tous ces films. C’est ce qui est beau dans le cinéma.
[...] Je me suis beaucoup nourrie du documentaire, d’où mon plaisir de la lumière naturelle. J’en fais de moins en moins mais c’est une école dans laquelle je me retrouve. J’aime être seule avec une caméra, devoir faire des choix essentiels rapidement, chercher la bonne place, capter quelque chose que je n’avais pas prévu, me situer en retrait, m’adapter.
"Femmes à la caméra", l’idée de départ
L’envie de se réunir, d’échanger. De comprendre aussi pourquoi, alors qu’il y a en général la parité dans les écoles de cinéma, le pourcentage des femmes derrière la caméra est aussi faible. De rencontrer des directrices de la photographie du monde entier. Il y a aussi l’idée de rendre visibles les femmes et d’encourager les plus jeunes, les débutantes : c’est dur de démarrer aujourd’hui. De réfléchir à nos modèles. Quand on entre dans un métier où il n’y a pas, ou très peu, de modèles femmes, on peut s’interroger sur la possibilité de le faire.
Et l’autre idée fondatrice, c’est l’importance du collectif, d’une parole enrichie par le groupe. Notamment sur les obstacles rencontrés par les femmes dans leur carrière, c’est la réponse collective qui sera pertinente, plutôt qu’une réponse individuelle, forcément réductrice et non représentative. [...]
La parité dans les équipes
C’est surtout une affaire de rencontres et j’ai souvent été fidèle aux mêmes équipes. Mais sur la parité des équipes en général, c’est une question dont on discute maintenent beaucoup et je m’en réjouis. Le bonus dans les subventions pour les films "exemplaires en matière de parité hommes-femmes" n’y est pas pour rien. Je souhaite évidemment que nous soyons choisies, ou non, remarquées, pour notre travail, nos images et non parce que nous sommes des femmes.
Propos recueillis par Patrice Carré, Le Film français n° 3933, 9 octobre 2020.
En vignette de cet article, photo de Claire Mathon par Julien Lienard pour Le film français.