David Cailley, AFC, accompagne à l’image "Partir un jour", d’Amélie Bonnin

Par Margot Cavret pour l’AFC


Pour accompagner l’ouverture du Festival de Cannes 2025, le premier long métrage d’Amélie Bonnin, Partir un jour, a été projeté mardi 13 mai à Cannes et dans tout un faisceau de salles partout en France. Pour cette adaptation en long métrage de son court métrage du même nom de 2021, la réalisatrice s’est entourée du même casting et de la même équipe technique, dont David Cailley, AFC, à la photographie. Bien loin des codes de la comédie musicale, le chef opérateur et la réalisatrice cherchent ici une image naturaliste, proche du documentaire, pour accompagner ce film sensible, drôle et émouvant, parlant de retour aux sources, d’héritage parental et de premier amour. (MC)

David Cailley : J’ai rencontré la réalisatrice Amélie Bonnin en 2021 pour tourner son court métrage Partir un jour, duquel le long métrage est adapté. Amélie vient du documentaire, donc il y avait l’idée de chercher des plans dans la longueur, à l’épaule où en plan fixe, et il y avait aussi cette idée d’une image qui emprunte à la pellicule, qui sont restées pour le passage au long. C’était assez unique de pouvoir se servir du film précédent pour fabriquer le suivant, il y avait déjà tout un travail fait en amont, un peu comme si on avait déjà fait une petite préparation en faisant le court métrage. Tout était plus simple, on arrivait beaucoup plus vite que sur le court métrage à savoir ce dont on avait envie, vers quoi on voulait aller, j’avais l’impression qu’on était sans cesse en train d’avancer, là où parfois ça peut un peu patiner parce qu’on se pose des questions, là, j’ai vraiment eu l’impression qu’on avançait très rapidement à chaque étape.

Cependant, très rapidement on n’a plus beaucoup parlé du court métrage en préparation. Le court métrage était fait, on savait comment on y était arrivé, ce qu’on aimait, ce qu’on aurait sans doute refait différemment aujourd’hui, et on n’en a pas tellement re-discuté. Il y a quelques références qui sont restées en commun dans les images qu’on s’est échangées, les films dont on a parlé, mais même ces références avaient évolué ou avaient été remplacées par de nouvelles. L’idée du documentaire est restée, Raymond Depardon, certaines choses qui étaient déjà là, mais en tout cas le court métrage n’a plus vraiment été une référence pour nous, c’est un autre film, autre chose.

Photogramme - Pathé Films
Photogramme
Pathé Films

Amélie m’a envoyé sa première version de scenario presque un an avant le tournage, elle avait envie que je lui donne des retours, c’était une première occasion de discuter du film. Ensuite il y a eu plusieurs versions de scenario et on s’en est parlé de plus en plus au fur et à mesure qu’on s’approchait du tournage mais on a vraiment commencé la préparation en janvier 2024 pour commencer à tourner début juin. J’avais le tournage du film de Michel Leclerc juste avant donc on a décidé de commencer la préparation de Partir un jour assez tôt. On a appris en février qu’on allait tourner dans la région Grand Est et on a pu partir en repérage. Notre défi, c’était de trouver le relais routier qu’on avait envie de verrouiller très en amont parce que ça impliquait des choses en décoration et en régie, donc on a essayé de le chercher en priorité. Quand on a visité ce relais, on s’est tous mis d’accord tout de suite, il nous a immédiatement donné l’impression qu’on était dans le film. Il posait des grandes problématiques de son parce qu’il est collé à une 2x2 voies. Ça a été beaucoup de discussions avec Rémi Chanaud, le chef opérateur du son, qui a beaucoup réfléchi pour que ce soit possible et qui a été très ouvert, qui a cherché des solutions, en mettant notamment du double vitrage sur les fenêtres.

Pour le décor de la patinoire, c’était plus facile parce qu’il y a vraiment peu de patinoires qui correspondaient au film, c’est-à-dire qui devaient être construites avant les années 2000 et on a trouvé cette patinoire de Colmar qui était incroyable parce que c’était vraiment exactement ce qu’on imaginait pour le film, voir même plus que ce qu’on imaginait.

Photogramme - Pathé Films
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En préparant le court métrage, j’avais proposé qu’on le tourne en 16 mm. Ça ne s’était pas fait pour des questions de budget mais j’ai de nouveau émis l’idée de tourner en pellicule pour le long métrage, en 35 mm sur deux perforations. En se posant la question avec Amélie on s’est dit qu’on voulait une image un peu plus moderne, qui soit à la jonction entre la pellicule et le numérique. Le 16 avait un rapport un peu trop brut et au final elle était à l’aise avec l’idée de tourner en numérique. A partir du moment où ce choix a été fait j’ai demandé l’Alexa 35 tout de suite parce que c’est une caméra que j’utilise depuis qu’elle est sortie, que je trouve incroyable au niveau de sa dynamique, de sa praticité, des couleurs, donc c’était plutôt une évidence. On a fait des tests d’optiques, on a testé les P-Vintage, les Zeiss GO et les Cooke S3 et avec Amélie on était d’accord pour préférer le rendu des Zeiss GO. J’ai aussi fait des tests en 16 mm pour avoir des références de grain, de texture d’image et de couleur pour la LUT, sans coller complètement à l’image du 16 mm parce qu’on cherchait un truc qui était plus hybride entre le 16 mm, le 35 mm et le numérique. Avec Laurent Ripoll, l’étalonneur avec qui je travaille depuis quelques films, on a cherché l’image, une première fois au moment de ces essais en 16 mm et une deuxième fois au moment des essais caméra qu’on a faits plus tard. On est partis avec deux LUTs mais je n’en ai utilisé qu’une au final. J’avais très envie d’avoir une image douce, avec du grain mais que le grain ne soit pas non plus trop marqué, il fallait que ça se sente sans que ça se voit, je voulais une image qui vibre, qui soit sensible, qui soit granuleuse qui soit à la frontière de la pellicule et du numérique, qui garde sa modernité tout en rappelant aussi une idée de ce dont parle le film, son rapport au souvenir et aux années 2000, c’est un film qui évoque beaucoup la nostalgie de ces années-là tout en étant très moderne.

David Cailley
David Cailley

À la lumière, il y a cette démarche de revenir à un éclairage HMI et tungstène, notamment pour éclairer les visages et les intérieurs. Par exemple, on avait un petit Joker Bug 400 HMI en intérieur qui tapait au plafond comme on aurait fait il y a une dizaine d’années et qu’on ne faisait presque plus avec Antoine Roux, le chef électricien, parce que c’est tellement pratique d’envoyer n’importe quel projecteur à LEDs au plafond, parce que ça se dime, on peut changer de couleur, etc. Mais je n’aime pas le rendu sur les peaux, on se retrouve avec des trous dans les spectres, des teintes vertes ou magenta. Donc j’étais assez nostalgique de cet éclairage, les tungstènes sur lesquels on met du bleu quand on est en nuit par exemple, comme dans la chambre de Juliette où on a mis un petit 500 W Fresnel tungstène avec un full CTB qui tape au plafond et qui donne une certaine chaleur sur les visages qu’on ne retrouve pas avec des projecteurs LED. Ça demande peut-être un peu plus de temps à régler et ça dépend aussi des configurations, si on change souvent de décor, c’est plus compliqué d’avoir cette démarche-là. Là, on était sur un film où on avait peu de sous-décors. Ça nous a aidés pour avoir cette philosophie d’éclairage.

Photogramme - Pathé Films
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Pathé Films

L’idée, c’était de faire une comédie musicale plutôt naturaliste. Il y avait l’idée de chercher une simplicité dans les séquences chantées et que ce soit au même niveau que le reste du film, que ça ne soit pas trop spectaculaire. Il y avait aussi l’envie de chercher des choses qui soient propres à chacune de ces séquences. Par exemple, le père qui chante dans la cuisine, c’est un dispositif très simple, on est à l’épaule, on s’avance vers lui, on tourne un peu autour de lui, il y a un contre-champ sur Juliette, c’est tout. On a un tout petit peu stabilisé ce plan en postproduction sur Da Vinci, d’ailleurs le nouvel outil de stabilisation est très impressionnant, quand on l’a ajouté au départ, on avait vraiment l’impression que c’était un Steadicam, et au final, c’était beaucoup trop, on a dû mettre une stabilisation à environ 5 %. L’Open Gate de l’Alexa 35 fait 4,6K, donc j’avais pris une réserve assez conséquente de 10 % permettant aussi de rester en 4K et d’avoir un capteur un petit peu plus petit avec l’idée de se rapprocher un peu du ratio du 16 mm, d’être entre les deux.

Il y avait toujours l’idée, un peu comme dans le documentaire, de prendre ce que donne le réel, de jouer avec et d’essayer de faire en sorte que ce réel fonctionne dans notre narration. Tourner en studio aurait été à l’opposé de la démarche. L’intérieur du relais routier, par exemple, était naturellement très coloré, les murs jaunes et le contour des fenêtres roses étaient déjà là, et l’équipe décoration a peint une fresque qui s’insérait harmonieusement dans ce décor. Chloé Cambournac, la cheffe décoratrice, a également proposé de poser un néon rouge à l’extérieur du relais, pour accompagner le lettrage rouge qui était déjà présent. C’était toujours une conversation entre elle, Amélie et moi, pour savoir si ce qui était là ou ce qu’on voulait rajouter serait crédible dans notre univers, et, moi, ce qui m’a intéressé tout de suite quand Chloé a proposé ça, c’est que ce néon allait être visible aussi depuis l’intérieur de la chambre de Juliette. Ça m’a permis d’éclairer différemment, en aube, on a cette lumière rouge qui se mélange avec du bleu, et de nuit ça devient vraiment rouge, et pourtant ça reste des couleurs naturelles, qui sont déjà dans le décor, et qu’on a juste re-travaillé en harmonie avec la décoration.

On a une séquence qui a été tournée avec un caméscope VHS. C’est William Oger, l’opérateur Steadicam et cadreur pour la seconde caméra, qui a fait ces images. Pour ça, on avait fait des essais au moment des essais caméra. Ce n’est pas forcément facile de récupérer un caméscope VHS, on en a acheté un mais qui ne marchait pas donc on a fini par en louer un chez Loca Images. Une fois que ces images ont été tournées, on les a re-filmées avec notre caméra à travers une télévision cathodique. C’était toujours dans cette démarche d’image-mémoire, une image qui est directement liée aux souvenirs du personnage de Juliette à ce moment-là, et j’avais envie, en plus de la texture de la VHS, de récupérer la texture de la télévision parce que l’image-souvenir de ces années-là dans lesquelles j’ai grandi aussi comme Amélie, c’est ce qu’on regardait sur des TV cathodiques. Dès qu’on a fait les essais on était tous d’accord sur l’idée qu’on avait envie de ramener ce matériau-là.

La séquence de la patinoire aussi a cette idée d’image-souvenir, une image de retour dans les années 1990, et on s’est demandé comment la traiter. J’ai pensé à la tourner en 16 mm mais j’avais l’impression que ça allait être trop volontaire et nous sortir du film. Donc on a recherché plutôt à l’étalonnage dans quel sens on pouvait tirer, et finalement on a choisi de la traiter d’une manière un peu plus moderne. C’est vraiment très subtile, je pense, que la plupart des gens le sentent sans le voir, il y avait surtout l’idée que ça reste dans le film et qu’il y ait cette forme de simplicité. Dans la patinoire, on a aussi mis en place un dispositif assez complexe d’extinction et d’allumage de lumière. Pour l’allumage, c’est un jeu de différents borniols (qui descendent devant la baie vitrée, un rideau qui se tire, un drapeau devant une fenêtre) couplé à des allumages de fluos : on tourne de jour en faisant croire à la nuit en borniolant la baie vitrée et les fenêtres puis les borniols tombent et on découvre qu’il fait jour. Pour l’extinction, on tourne de nuit en faisant croire qu’il fait jour grâce à une dizaine de Vortex positionnés sur les toits ainsi que d’autres projecteurs LED qui tapent au plafond de la patinoire ou sur des toiles (Evoke, Luxed…). Antoine "dime down" tout ces projecteurs jusqu’à arriver à une ambiance nuit.

Sur le tournage de la scène de la patinoire
Sur le tournage de la scène de la patinoire

La scène de la boîte de nuit est très à part, assez humoristique, avec un regard caméra, il y a quelque chose de très assumé, un peu méta dans cette scène, le spectateur est vraiment mis face au dispositif. C’est aussi une des séquences les plus chorégraphiée, donc là, on a tourné toute la scène au Steadicam pour accompagner cet effet un peu plus spectaculaire. Ce qui intéressait Amélie avec cette séquence, c’était d’introduire quelque chose de différent et de nouveau en plein milieu du film.

De g. à d. : Erwan Becquelin, Luna Jappain, David Cailley, Bastien Bouillon et Juliette Armanet
De g. à d. : Erwan Becquelin, Luna Jappain, David Cailley, Bastien Bouillon et Juliette Armanet

Pour les scènes de rouling, j’avais envie de garder un dispositif très simple car on avait rarement beaucoup de temps pour les tourner. Mais pour la dernière séquence où Bastien rejoint Juliette sur sa moto, en discutant du découpage avec Amélie puis avec Erwan Becquelin, le chef machiniste, on s’est rendu compte qu’il fallait un bras sur une voiture avec une tête 3D. Ce dispositif nous a permis de faire aussi bien le suivi latéral sur Bastien en plusieurs valeurs avec un zoom et en se réglant à la hauteur de son regard, que le plan où l’on précède le camion et la moto en étant entre les deux c’est-à-dire en se déportant de la route, et c’était le système le plus simple pour pouvoir faire toute la séquence en une demi-journée, en plus du contre-champ sur Juliette qu’on a fait avec une accroche portière car on avait envie d’être plus proche d’elle.

Tournage à l'Ultra Arm - De g. à d. à l'avant-plan : Luna Jappain, Erwan Becquelin, Romuald Levieuge, de Weazel Factory
Tournage à l’Ultra Arm
De g. à d. à l’avant-plan : Luna Jappain, Erwan Becquelin, Romuald Levieuge, de Weazel Factory

Pour le décor de la cabane dans la forêt, il y a une installation électrique un peu plus lourde, avec une nacelle, des 4 kW, des Joker 1 600 W, des M18 et des Vortex. Et c’est évidemment cette nuit-là que le groupe a choisi de lâcher ! Il m’était arrivé exactement la même situation sur Le Règne animal, sur la plus grosse séquence de course-poursuite, de nuit, dans la forêt, mais le groupiste avait finalement réussi à faire redémarrer le groupe. Par contre, sur Partir un Jour, on n’a jamais réussi à le relancer. Heureusement on avait déjà tourné des choses, il nous restait encore des plans larges mais il nous restait aussi des plans plus serrés. On a réussi à rentrer deux plans serrés avec le peu de lumière qu’on pouvait brancher sur le groupe régie et sur une petite unité mobile. L’important, c’est surtout de ne pas paniquer dans ces moments-là, donc on s’est posé avec Antoine et on a réfléchi à la façon de procéder. On avait quelques LEDs et donc grâce a ces technologies on a pu éclairer les fonds avec quelques Vortex, en faisant des concessions par rapport à ce qu’on aurait fait si on avait eu le groupe. Il y a eu une bonne demi-heure de pause, le temps qu’Antoine et ses équipes puissent tout ré-éclairer, puis il s’est mis à pleuvoir, tout a disjoncté et on a eu de nouveau une demi-heure de pause ! Mais on a quand même réussi à rentrer ces deux plans ! La nacelle s’est enlisée aussi... Mais tout le monde est quand même resté assez zen et c’était la dynamique de ce tournage, c’était très bienveillant et c’était très important d’avoir cette énergie-là pour pouvoir prendre les bonnes décisions, sinon on a vite fait de paniquer et de faire les mauvais choix.

(Propos recueillis par Margot Cavret pour l’AFC)