Dédée Davanture, marraine du cinéma

par Philippe Van Leeuw La Lettre AFC n°245

Pour évoquer le souvenir de la chef monteuse Andrée Davanture récemment disparue, Philippe Van Leeuw, directeur de la photographie et réalisateur, témoigne.
« Voilà, Dédée Davanture est partie, ça devait arriver même si nous avions tous toujours l’impression que ça pouvait être remis à plus tard. En bon alchimiste du temps, elle savait l’étirer, le durcir, l’exprimer ou le faire disparaître. »

Quand elle a lu le scénario de Le Jour où Dieu est parti en voyage, elle m’a conseillé de modifier la fin, trop définitive. Elle pensait à tous ceux qui vivent cette tragédie, victimes, rescapés du génocide et spectateurs. Elle disait que pour continuer à vivre, il faut l’espoir. La fin du film est encore différente de celle que j’avais réécrite, elle est sortie d’un combat désespéré contre l’adversité et les intempéries. En conscience, elle est née de son conseil et elle est magique.

Les dix semaines du montage de Le Jour où Dieu est parti en voyage furent un mélange de passion et de conviction. Regarder Dédée travailler était l’affirmation que le film que j’avais en tête était possible. Elle dirigeait son travail comme un chef d’orchestre, elle écoutait le film, elle fermait les yeux, le geste suspendu à sa pensée. Elle regardait Jacqueline, elle souffrait avec elle, elle l’aimait, elle voulait qu’elle vive.

En la voyant avec Souleymane Cissé ou Gaston Kaboré ou d’autres, il y avait la même ardeur, la même flamme dans ses yeux. Le soutien qu’elle donnait à chacun de nous était animé par la conscience qu’elle avait de l’acte. Elle nous nourrissait de cette énergie-là, elle s’engageait dans le film, le faisait sien. Il fallait que le film existe par lui-même et que sa voix soit reconnue pour elle-même. Sa fidélité au sujet était inébranlable.

Ses amis africains parleront de Dédée bien mieux que je saurais le faire, mais ce que je sais, c’est qu’elle a permis à une génération de cinéastes de faire des films extraordinaires et que, sans elle, ils n’auraient sans doute pas existé. La volonté et la conscience que Dédée Davanture a mises dans Atriascop, cette tête de pont du cinéma africain qui a résisté grâce à ses efforts pendant 17 ans, n’a pas été remplacée. Depuis qu’Atriascop s’est arrêté, c’est la visibilité du cinéma africain qui en a pâti. Dédée a malgré tout continué à le soutenir, son engagement ne s’est jamais démenti. Sa salle de montage était le lieu de toutes les rencontres des cinéastes africains. Ce petit bout de bonne femme était connu et respecté dans toute l’Afrique cinéphile, en disparaissant, c’est une grande Dame du cinéma africain qui s’en va.

Maintenant il nous reste la conscience, celle qu’elle a su insuffler à tous les films qu’elle a modelés, celle qu’elle a placée en nous.

Philippe Van Leeuw, AFC