Disparition d’Eric Pujol, premier assistant réalisateur

Nous avons appris avec tristesse le décès du premier assistant réalisateur Eric Pujol, à l’âge de 63 ans. Il a travaillé auprès, entres autres réalisateurs, de Mathieu Kassovitz, Cédric Klapisch, Samuel Benchetrit ou encore Jalil Lespert ; il était membre de l’AFAR. Cells et ceux qui l’auront côtoyé garderont de lui son professionnalisme, sa générosité sans faille et son extrème disponibilité. Pierre Aïm, AFC, et Romain Lacourbas, AFC, ASC, témoignent.

Pierre Aïm
J’ai connu Éric Pujol au lycée et très vite il est devenu mon ami.
Après le bac, nos chemins se sont légèrement séparés, lui voulait voir le monde, moi je voulais faire du cinéma.
Après qu’Eric a passé quatre ans à voyager autour du globe, nous nous sommes revus. Il ne savait pas quoi faire de sa nouvelle vie, il voulait désormais se fixer. J’ai très vite senti en lui qu’il pourrait faire un très bon assistant réalisateur. Je l’ai présenté rapidement à des metteurs en scène de courts métrages où il s’est révélé incroyablement fait pour ce métier.
Comme moi, nous avons eu la chance de rencontrer Mathieu Kassovitz avec qui nous avons fait trois films. Ensuite nous avons eu une autre chance, celle de rencontrer Samuel Benchetrit avec qui nous avons fait beaucoup de films.
Éric était un assistant très très dévoué, très disponible, bref, parfait pour les metteurs en scène exigeants.
Éric était mon Ami. Il est parti trop tôt.
Je pense à Ophélie et à Ruben.

Eric Pujol en 1993 - Photo Eric Dumage
Eric Pujol en 1993
Photo Eric Dumage

Romain Lacourbas
2002 ou peut-être 2003, la première fois que je rencontre Eric Pujol. Le film s’appelle Janis et John, il en est l’assistant réalisateur. Je l’aime bien ce type, mais il me fait un peu peur. En fait il fait peur à tout le monde. Il ne sourit jamais, disent les machinos, ni ne plaisante, disent les électros, en coulisse bien sûr car aucun n’oserait le lui faire remarquer.
Il est concentré, Eric, toujours concentré. Et si la plus noble des blagues lâchée par un membre de l’équipe peut lui faire esquisser un sourire, le tout venant génère un regard réprobateur qui reconduit immédiatement au calme et à l’ambiance studieuse du plateau.
A la coupure déjeuner, il s’allonge dans le décor, Sparco rouges aux pieds, et il songe. Il ne rêvasse pas, il pense à la journée, à ce puzzle sans cesse remis en question et qu’il s’emploie minutieusement à attaquer sous un nouvel angle. Mais il n’est pas seulement le grand horloger du film. Au fil des plans qui se succèdent il vient chuchoter à l’oreille de Pierre Aïm ou de Samuel Benchetrit des mots que personne d’autre n’entend.
Il fait avancer le train.
Un jour, on tourne chez un disquaire vers les puces de St-Ouen. Je surprends par hasard un échange de regard entre lui et Ophélie qui en dit long sur leur complicité. Evidemment je me garde bien d’aller lui poser quelque question que ce soit. Impossible aussi de demander à Ophélie un laconique ’’Vous êtes ensemble ?’’ ; si jamais il l’apprend je ne donne pas cher de ma peau.
Plus tard. Le tournage est fini. Il n’y a désormais plus de tabou sur l’Amour qui les lie. Tous deux me laissent pénétrer dans leur intimité. Les blagues sur les chauves deviennent autorisées, et même lui, principal concerné et visé, en rit. Après le dévouement sans faille qui émane de tout son être sur un plateau de tournage, je découvre le reste d’Eric, celui qui a fait transiter des bagnoles de je ne sais où vers l’Europe, qui a vu toute la nouvelle vague et les influencés qui lui ont succédé, qui force le respect partout où il se pointe, qui en connait un rayon en Whisky de qualité tout en restant magnanime envers les béotiens en la matière.
Je découvre un homme qui a eu plusieurs vies. Je découvre un homme libre, au grand cœur, sensible et cultivé. Sans le savoir, Eric me dévoile les valeurs qui le représentent le mieux : l’intransigeance, la sincérité, l’honnêteté, l’amitié.
Tous ces dîners ensemble continuent de m’apparaître distinctement. L’arrivée de Ruben aussi, et cette photo en noir et blanc de vous trois, Ruben bébé, les yeux grands ouverts, tandis qu’Eric et Ophélie feignent le sommeil.
Des milliers d’images.
Je pense à Ophélie, à Ruben et à François.
Ciao Eric, je t’embrasse, mon pote.

Jean-Paul Seaulieu, à gauche, et Eric Pujol sur le tournage de "Airstream", en 1993 - Photo Eric Dumage
Jean-Paul Seaulieu, à gauche, et Eric Pujol sur le tournage de "Airstream", en 1993
Photo Eric Dumage