Disparition de Bill Butler, ASC (1921-2023)
Par Marc SalomonAprès des études d’ingénieur en électricité à l’université de l’Etat de l’Iowa, Bill Butler avait débuté dans la radio avant de s’orienter rapidement vers la télévision, contribuant à fonder la première télévision commerciale (WBKB) à Chicago. Il travaille ensuite une quinzaine d’années pour une autre TV de Chicago, WGN-TV, fondée en 1948. Passé derrière la caméra électronique, il filme le tout venant des productions en direct (sports, shows, concerts du Chicago Symphony Orchestra etc.). De cette époque – nous sommes alors au début des années 1960 –, date sa rencontre avec un jeune réalisateur, William Friedkin, avec lequel il va tourner des documentaires sur pellicule : The People vs. Paul Crump, en 1962, The Bold Men, en 1965. Le premier est un célèbre documentaire en 16 mm N&B, plaidoyer contre la peine de mort, qui sauva un homme accusé de meurtre de la chaise électrique.
C’est tout naturellement que Butler abordera la fiction avec Friedkin, en 1967, avec Good Times, un film musical avec Sonny & Cher. Au générique, Butler est crédité seulement en tant que consultant spécial pour les scènes musicales. Il enchaîne avec la seconde réalisation de Philip Kaufman, Fearless Frank, une comédie satirique où un garçon de la campagne un peu naïf (premier rôle de John Voigt), de visite en ville, est assassiné par des gangsters avant d’être réincarné en super héros. Puis c’est la première collaboration avec Francis Ford Coppola, en 1968, Les Gens de la pluie, un road movie intimiste en phase avec l’esprit du Nouvel Hollywood. Avec ces grands espaces balayés par une météo changeante, cette esthétique des lumières rasantes de début ou de fin de journée et ces motels au crépuscule, le film préfigure des chefs d’œuvre à venir, L’Epouvantail et Sugarland Express (photographiés par Vilmos Zsigmond). On notera au passage que Butler assura quelques prises de vues en seconde équipe sur Délivrance (John Boorman), justement photographié par Zsigmond, en 1972.
C’est après un tournage en Australie, Adam’s Woman, de Philip Leacock, en 1970, que Butler signe la photographie de la première réalisation de Jack Nicholson, Vas-y, fonce, puis travaille aussi avec Steven Spielberg sur deux téléfilms, La Chose (1971) et Chantage à Washington (1973). Il retrouve Francis Coppola sur Conversation secrète où il remplace Haskell Wexler dont le style trop romantique ne convenait pas au réalisateur.
Ironie de l’histoire, Butler remplacera de nouveau Wexler en 1975 sur Vol au-dessus d’un nid de coucou, de Miloš Forman, pour les mêmes raisons. Un film qui lui rapporta sa seule nomination aux Oscars. Entre temps, entre mai et octobre 1974, Butler rejoint Spielberg pour le tournage des Dents de la mer, avec Michael Chapman au poste de cadreur. Cinquante ans après, le photographie de Butler reste étonnement moderne, par son savant équilibre entre naturalisme et stylisation, sa palette de couleurs qui restent douces et la récurrence des tonalités bleues, contre-balancées par des tons jaunes, comme pour rappeler que le danger vient de l’océan. La rigueur des cadrages en Scope, sans doute en grande partie imputable à Chapman *, contribue aussi à installer le film à l’abri des modes passagères. Butler déclarait que les premières scènes s’inspiraient du style des peintures d’Andrew Wyeth « provinciales et réalistes » pour aller progressivement vers des images plus sombres et violentes.
La suite de sa filmographie, après 1975, nous laisse songeur dans la mesure où son parcours l’éloigne des réalisateurs de premier plan avec lesquels il avait collaboré à ses débuts. On notera le premier film de John Badham, en 1975 (Bingo) ; un thriller de politique fiction qui a de quoi alimenter les thèses conspirationnistes, Capricorn One, de Peter Hyams (1977), sur une fausse mission vers Mars tournée sur Terre dans un hangar ! Puis il signe la photographie d’un des gros succès du box-office, Grease, de Randal Kleiser, avant de rejoindre Sylvester Stallone (acteur et réalisateur) pour les trois Rocky II, III et IV, tournés entre 1977 et 1983. Ajoutons encore Big Trouble, en 1985, le dernier film, mineur, de John Cassavetes ; Biloxi Blues, de Mike Nichols, en 1987, ainsi que Hot Shots !, de Jim Abrahams, en 1991.
Mais une grande partie de sa filmographie navigue entre comédies, films d’action ou thrillers de pur divertissement. Il travailla régulièrement pour la télévision où il avait vu son travail récompensé à deux reprises par un Emmy Award : Raid on Entebbe (Irving Kershner, 1977) et A Streetcar Named Desire (John Erman, 1984).
Dans un article publié en ligne le 6 avril dernier, l’ASC annonce qu’elle rendra hommage à Bill Butler dans un prochain numéro de son mensuel. En attendant, on pourra toujours relire l’article consacré au tournage de Jaws (Les Dents de la mer) et publié en mars 1975.
* Chapman racontait que le film ayant été tourné en grande partie sur la côte Est (île de Martha’s Vineyard), le syndicat de la côte Est imposa un quota de techniciens ce qui lui permit, bien qu’il avait déjà entamé une carrière de chef opérateur, de postuler pour être engagé comme cadreur.
Marc Salomon