Editorial de la Lettre de décembre 2019

Par Gilles Porte, président de l’AFC

par Gilles Porte La Lettre AFC n°303

« Si la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la Tribune… »
Nous sommes dix-neuf membres de l’AFC, dont trois femmes[1] , réunis autour de tables disposées en carré, fin novembre, lors de notre dernier conseil d’administration…

Parmi nous, Eric Guichard, directeur de la photographie du film Les Diables dans lequel l’actrice Adèle Haenel interprétait le rôle principal avant de dénoncer, sur Médiapart, « l’emprise » que le réalisateur aurait exercée sur elle pendant la préparation et le tournage, puis un « harcèlement sexuel permanent » ainsi que des « attouchements » qui auraient eu lieu chez ce metteur en scène et dans plusieurs festivals internationaux.
Conscients de la responsabilité et de la place privilégiée qui nous incombent sur un tournage, il est indispensable que nous, directeurs et directrices de la photographie de l’AFC, nous interrogions, ensemble, sur certains comportements qui peuvent nuire gravement à un individu… S’il n’est pas question d’occulter la particularité qui caractérise les rapports entre metteur en scène et comédien(ne)s – L’interview de Costa Gavras à Médiapart est d’ailleurs éloquente à ce sujet – nous ne pouvions pas ne pas bousculer l’ordre du jour de notre dernier conseil d’administration de l’année pour s’arrêter sur des prises de paroles qui feront date.
Est-il possible de continuer à cadrer et éclairer une image sereinement si certains hors-champs demeurent plongés dans un noir trop dense et ne soient pas plus éclairés par la justice ?
Aux Etats-Unis, producteurs, techniciens et comédiens doivent aujourd’hui signer une clause qui oblige chacun à contacter un référent s’il est témoin d’un cas de harcèlement…
Cela aurait-il suffit sur le film Les Diables ?
Quoi qu’il en soit, sans doute faudra-t-il que le cinéma français s’en inspire afin de se retrouver autour d’une idée plus noble du cinéma.
Que la parole se libère… Que la justice fasse son travail en écoutant attentivement les plaintes qui lui sont rapportées et analyse des faits et des gestes bien au-delà du petit périmètre du 7e art car il est inadmissible qu’au pays de Voltaire et d’Hugo, résonnent les mots d’Adèle H. : « La justice nous ignore… On ignore la justice ».
En rentrant chez moi, je retrouve Syrine, ma fille (17 ans), face à des questions existentielles que lui impose son année de terminale… Je lui fais part de la formule d’Adèle Haenel… Sa réponse fuse, instantanément !
- « Les hommes font les lois. Les femmes font les mœurs ! »
Sans attendre une réaction de ma part, elle enchaîne :
- « Jean-Jacques Rousseau dans Emile ».

Dans nos vieilles démocraties, les inégalités entre hommes et femmes étaient considérées comme « naturelles »… Les Droits de l’Homme, formulés en 1789, ne concernaient véritablement que la gente masculine.
Que le virage qu’une nouvelle génération nous dessine soit pris par celles et ceux qui composent notre profession et par celles et ceux dont le métier est d’appliquer la loi.
Et que cette Lettre de décembre rende alors hommage à Olympe de Gouges qui, en 1791, avait rédigé une « Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne » dans laquelle on pouvait y lire, entre autres, que « si la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la Tribune… ».
Des mots prophétiques qui l’avaient conduite directement à la guillotine avant que, deux siècles plus tard, ce principe d’égalité soit enfin inscrit dans « La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme » et adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies…

[1] L’AFC compte 142 membres actifs, dont 18 femmes.

En vignette de cet article, Olympe de Gouges, portrait attribué à Alexandre Kucharski.