En hommage à Trevor Steele

J’ai rencontré Trevor au milieu des années 1980. A l’époque, je travaillais principalement en Super 16 et mon assistante, Martine Gonthié, avait pris l’habitude de commander le zoom 10,4-52 mm Cooke, le pare-soleil, les filtres et les commandes de point chez EMIT. Comme j’en étais très content, elle m’a fait remarquer que je devrais peut-être prendre le temps de rencontrer les personnes qui travaillaient dans cette société.
Très judicieuse suggestion !
J’ai donc rencontré Trevor, puis ses deux fils, Andrew et Benjamin, et tous les membres d’EMIT. Ensuite je n’ai jamais imaginé commencer un film ou un projet sans leur demander d’abord conseil.

Trevor a fait partie des gens qui ont changé ma carrière : il a su me montrer, avec humour et intelligence, que « je ne savais pas que je ne savais pas ».
Je veux dire qu’il m’a suggéré d’apprendre et de m’ouvrir à la théorie et à l’analyse des outils. Il m’a fait comprendre que si l’on ne possède pas un minimum de formation (et d’informations), il est difficile de progresser. Il a su me guider dans mes recherches en m’ouvrant des portes essentielles pour moi, notamment sur les objectifs.

Je ne peux pas compter les heures où nous avons examiné ensemble sur son banc les optiques nouvelles et anciennes et où j’ai pu profiter de son jugement et de sa méthodologie.
Il y avait une sorte de cérémonial quand on pénétrait dans le banc de Trevor, et j’ai vécu comme un privilège de l’écouter et de comprendre comment l’analyse de ces mires pouvaient amener à des essais de terrain bien ciblés et finalement à des choix pertinents d’objectifs liés à la dramaturgie.
Il y avait bien évidemment d’autres bancs aussi sérieux à Paris mais ils pouvaient difficilement rivaliser avec la disponibilité de Trevor.

Quand Trevor décrivait le "Cooke look", c’était une véritable plongée dans la structure et l’idéologie des objectifs britanniques : modelé, bokeh, courbure de point, MTF*, tout était précisément décrit et expliqué.
Il était passionné, toujours curieux de découvrir un nouveau zoom Angénieux ou un ancien objectif de Leitz.
Ces sessions étaient captivantes, chacune m’a profondément influencé.

Mais chez Trevor il y avait aussi une passion pour l’ergonomie des caméras. Il est évident que tout son passé chez Eclair**, notamment en tant que formateur sur les caméras NPR Coutant ou ACL, a énormément joué dans l’histoire d’EMIT. Il a été un des premiers à comprendre que l’accessoirisation des caméras jouait un grand rôle dans l’efficacité des équipes caméra sur le terrain. Sur ce sujet, quel que soit le budget du film, j’ai pu passer de longues heures avec lui à étudier de meilleures configurations caméras liées à des utilisations spécifiques.

Quand je me suis dirigé parallèlement vers la supervision, c’est tout naturellement à Trevor et ses fils que j’ai eu recours. Ils m’ont apporté de formidables connections européennes et internationales pour trouver des solutions à des problèmes complexes. Sans eux, je n’aurai jamais rencontré les ingénieurs responsables des optiques Zeiss ou Gerhard Baier, directeur de Bandpro et je pense que plusieurs films auxquels j’ai participé n’auraient pas pu profiter de l’expertise conjointe d’équipes et de talents très divers situés dans de nombreux pays.

Océans, réalisé par Jacques Perrin et Jacques Cluzaud, est un bon exemple du travail qu’Olli Barbé, le producteur exécutif, et moi-même avons mené avec EMIT. Tous les contacts donnés par Trevor nous ont permis de bien analyser les problèmes auxquels nous faisions face, que ce soit pour les caméras, les optiques ou la machinerie.

*MTF ou FTM : La Fonction de Modulation de Transfert permet d’estimer la résolution d’une optique

** Voir l’excellent article de Jon Fauer sur Trevor et EMIT

Une des fiertés de Trevor c’est d’avoir créé le travelling sous-marin qui a servi lors du tournage en Nouvelle Calédonie. La demande des deux réalisateurs : un travelling à hauteur des yeux d’un crabe se déplaçant sur le fond marin d’un massif coralien.

Déporter une caméra sur un traveling, c’est une chose, déporter un caisson de 45 kg au ras du sol par 6 mètres de fond avec des forts courants, c’est un défi auquel Trevor et Patrice Diebolt se sont attelés avec une grande détermination.

La solution d’un tube déporté permettant le réglage précis de la hauteur de la caméra a été retenu et a permis de suivre l’acteur principal de la séquence du récif coralien.

Par la suite EMIT m’a invité, avec François Paturel, le cadreur avec qui je travaillais, à Leicester, pour visiter l’entreprise Cooke, alors dirigée par Les Zellan. C’était extrêmement intéressant - et touchant - d’entendre, dans chaque atelier, Trevor commenter et expliquer les différents processus de fabrication des objectifs.

La passation à Andrew et Ben de cette disponibilité et de ce pouvoir concret d’aide aux directeurs de la photo, assistants, "Steadicameurs" et machinistes s’est faite tout naturellement au fil des ans et il m’est difficile de dire qui, précisément, m’a aidé sur les derniers films auxquels j’ai participé. Ce que je garde en mémoire, c’est cette formidable passion, cet humour et cette générosité qui semblent être inscrits dans l’ADN de cette famille.