Festival " Il Cinema Ritrovato "

par Céline Ruivo

La Lettre AFC n°179

Le festival " Il Cinema Ritrovato " (Le cinéma retrouvé) a lieu chaque année dans la somptueuse ville de Bologne (du 28 juin au 5 juillet 2008), et réunit les cinéphiles, les archives du film, les conservateurs, les collectionneurs, et autres " geeks " du monde entier.
Cette année, les allées de la Cineteca de Bologne étaient traversées d’une rumeur folle et persistante, selon laquelle le morceau manquant du film Metropolis de Fritz Lang aurait été retrouvé ! L’élément se trouvait quelque part en Amérique du Sud, sur un support 16 mm. La restauration de ce film en est désormais qualifiée de " neverending ", dans la mesure où l’on retrouve un fragment de Metropolis toutes les décennies.

Ainsi, Bologne c’est aussi le rendez-vous pour des restaurateurs de films, et des technicien(nes) de laboratoire, désireux d’avoir accès aux différents angles d’approche de la préservation et de la restauration des films. Il est bon de dissocier ces deux termes, puisque dans le cas de la préservation, traditionnellement on migre les images d’une veille pellicule vers une pellicule neuve, acétate ou polyester, en conservant les propriétés photographiques de l’original. Par la suite, on conserve l’original et la nouvelle copie dans une chambre froide, et on le renomme avec un code barre pour qu’ils intègrent une base de données.
Tandis que dans le processus de restauration, on essaie d’effacer au mieux les altérations du temps, et on veut retrouver une qualité d’image dite " d’origine ". Certes les deux termes devraient co-exister harmonieusement ensemble, mais tout dépend des supports de migration utilisés. Le transfert d’un 16 mm ou 35 mm sur de la vidéo (Digibeta, DVD) ne restitue pas les qualités d’origine de l’image, et il ne s’agit pas d’un support de préservation sur du long terme.

La possibilité d’une " préservation numérique " toutefois s’affirme dorénavant au grand jour, puisque les vertus de la restauration numérique – avec retour sur pellicule – sont reconnues depuis une bonne décennie. Il existe en effet des systèmes de stockage à plus long terme de données numérique de films scannés en 2K ou 4K. C’est pour en savoir un plus sur cet angle d’approche " archives " vis-à-vis de la filière numérique, que j’ai participé aux conférences EDCinema (European Digital Cinema) proposées par Paul Read et Nicolas Mazzanti*, à Bologne. Leur approche de la question étant très pragmatique, dans la mesure où le format JPEG 2000 permet de conserver les qualités originales du film. Il s’agit donc de dématérialiser les qualités du 35 mm, et de gagner en espace de stockage, ou de temps de catalogage dans la mesure où une base de donnée est intégrée au JPEG 2000.

Outre la possibilité qu’offre Bologne de s’intéresser à la problématique d’archivage du film, on savoure, bien entendu, les projections (argentiques) variées des films de genre, en se mettant au fait des anciennes techniques d’enregistrement du son et de l’image. L’un des temps fort a été notamment la rétrospective du cinéaste Joseph Von Sternberg, venue de la collection de UCLA (Los Angeles). Son film Blonde Venus (1932), produit aux Etats-Unis, m’a notamment permis de découvrir la dérision d’une Marlène Dietrich, habillée en énorme gorille pour les besoins d’une scène de cabaret.
On pouvait savourer également le piquant des films noirs Warner " pre-code " (entre 1930 et 1934). Le pre-code signifiant ce moment où les films américains n’étaient pas encore assujettis à la censure hollywoodienne, dénommée le " code Hays ". Ainsi dans Three on a Match de Mervyn Le Roy, on assiste à la déchéance de la belle et riche Anne Dvorak, en mauvaise mère junkie, aux côté d’un Bogart débutant mais déjà très incisif. Ces films Warner, venus de la collection de la Library of Congress (Washington DC ), possédaient une qualité de son très faible, et j’ai dû tendre l’oreille à plusieurs reprises pendant la projection. Il s’avère que le Vitaphone, premier système sonore industrialisé, consistait en l’enregistrement de son direct du film sur disque vinyle. Or, le souffle et les craquements que l’on peut entendre sont autant de " défauts " historiques, qui nous évoquent ce temps où les gramophones étaient synchronisés aux projecteurs. Ainsi, on réalise que le travail des archives du film ce n’est pas seulement conserver des films en chambre froide, mais aussi des disques, des gramophones et des projecteurs… Voire des poupées, comme c’est le cas aujourd’hui pour le studio d’animation Aartman à Brighton – créateur de Wallace et Gromit –, et qui vient de monter officiellement ses archives autonomes.

"Motion Painting n°1" d'Oscar Fishinger, 1947 - Film d'avant-garde : animation de formes abstraites qui doit être projeté accompagné de la Symphonie n° 3 de J.-S. Bach
"Motion Painting n°1" d’Oscar Fishinger, 1947
Film d’avant-garde : animation de formes abstraites qui doit être projeté accompagné de la Symphonie n° 3 de J.-S. Bach

Enfin, un festival comme " Il Cinema Ritrovato " permet de parachever le travail de restauration des archives et des laboratoires, dans la mesure où les organisateurs espèrent " retrouver " les conditions originales de visionnement des films. Pianos et orchestres avec composition choisie par les auteurs de films, lesquels considéraient que leur création ne seraient marquées du saut de l’achèvement qu’à travers une performance musicale. Tel était le cas pour les courts métrages d’animation abstraite projetés sur la Piazza Maggiore avec orchestre : Opus 1 de Walter Ruttman, ou bien Motion Painting n°1 d’Oscar Fishinger. Je n’étais malheureusement pas présente à la projection de Blackmail, l’un des premiers films d’Alfred Hitchock, tourné en 1929, au moment de la transition technique du muet au parlant. L’orchestration de Timothy Brock pour ce film y a été décrite comme fabuleuse. Ces ciné-concerts qui se sont déroulés le soir sur la Piazza Maggiore étaient gratuits et ouverts à tous.

Aurons-nous l’année prochaine la chance d’assister à la projection JPEG 2000 de la nouvelle version de Metropolis ?

* Paul Read a travaillé chez Kodak UK, et co-auteur de livre et articles sur la restauration. Nicolas Mazzanti, italien d’origine, est l’actuel directeur de la Cinémathèque royale de Belgique.

(Céline Ruivo est technicienne de restauration du film aux Laboratoires Eclair.)