Hey Willie, tu te souviens ?

Par Mathieu Busson, réalisateur

Contre-Champ AFC n°360


Dans Little Big Man, le vieux chef indien, Peau de la Vieille Hutte, monte sur la colline parce qu’il décide que c’est un beau jour pour partir, mais… il rate sa sortie. Et il reporte à plus tard. Parce que, dit-il : « Parfois la magie fonctionne et parfois elle ne fonctionne pas ». Sauf que toi, cher Willie, tu as réussi ton coup. Et franchement, c’est pas cool.
Tu as fini par entonner ton dernier chant et, tel le chef indien du film, tu as décidé que, sûrement, c’était un beau jour pour tirer ta révérence. Ça ne m’étonne qu’à moitié, il me semble que tu n’en as toujours fait qu’à ta tête.
Ta bobine têtue de cinéma, Pierre-William Glenn, dit Glenn, dit Willie, AKA Peau de la Vieille Hutte, je l’ai croisée la 1re fois à Richmond, Virginia. Je sortais du Byrd Theatre, cinéma aussi magnifique que décati, à deux doigts de s’effondrer, et tu as planté ta silhouette, là, devant moi, aussi droite et solide, que haute et longiligne. C’est simple, je ne voyais plus la lumière.
Et pourtant, tu as rapidement par la suite éclairé ma vie. Oui, je sais, l’image semble facile pour le directeur de la photo que tu as été avant tout, mais c’est la vérité et c’était tangible. Tu as projeté des photons dans ma direction, ton spectre était large, nous étions sur la même longueur d’ondes, et tu as su titiller ma rétine. Vrai de vrai. Comme aîné, comme voisin, en immense professionnel. En passionné. En généreux.
Sous tes faux airs de Clint Eastwood montmartrois, le cheval d’acier jamais trop loin, le mot économique, l’onomatopée facile, le regard bleu transperçant, les bottes négligemment croisées sur ton bureau de la CST, tu pouvais impressionner. Je m’attendais à voir entrer dans la pièce trois pistoleros mexicains, les frères Dalton ou, que sais-je, Gary Cooper, Kirk Douglas, voire Butch et son Kid, mais le plus souvent c’était un jeune technicien, chef opérateur ou ingé du son, que tu tenais à me faire rencontrer, et tu n’étais que gentillesse et bienveillance. Enthousiaste. Tu voulais que les amoureux du cinéma s’émulsionnent entre eux, partagent et entreprennent.
Parce que toi-même, depuis la sculpture d’images, l’écriture ou la réalisation, tu as aimé follement le cinéma et, je te le jure, le cinéma t’a aimé.
Alors, excuse-moi si je reviens là-dessus, mais franchement, partir comme ça, c’est pas cool. Et que le vieil indien remette sa sortie à plus tard, je t’assure, ça marchait aussi.
Parce que tu étais un monsieur unique. Nombreux. Multiple.
Directeur de la photo de Truffaut, Tavernier ou Georges Roy Hill (J’en passe. Beaucoup.), pote de Johnny, soutien indéfectible des merveilleux Françoise et Peter à Richmond, patron CST et garant des projos à Cannes comme aux Lumières, patriarche de la relève à La Fémis, mais unique, te dis-je. Un Monsieur, avec un M majuscule. Un homme bon et un type bien. Pour moi et pour mes enfants que tu accueillais à l’occasion dans ton antre, tu étais Pierrot la lune. Alors maintenant que tu as choisi de regagner les étoiles, les bottes négligemment croisées sur le bureau à St-Pierre ou je-sais-pas-qui, une fois là-haut tâche au moins de revoir l’éclairage, parce que question lumière, ils en sont loin. Et ils n’auront pas trop d’un artiste tel que toi pour redonner sa colorimétrie au ciel, son contraste aux nuages, et sons sens à l’humanité. Que même, tudieu, ils vont se régaler.
« Parfois la magie fonctionne et parfois elle ne fonctionne pas. » Jusqu’au bout, tu as réussi, toi, à la faire marcher, même si on aurait préféré que tu rates ce dernier tour. Prends soin de toi, cher Willie, cher Glenn, cher Peau de la Vieille Hutte. Tu vas nous manquer, mais au moins ta magie perdure ici. On va la conserver au chaud, aux côtés de Viviane.