Jacques Deschamps écrit à Jean-Pierre Thorn, tous deux cinéastes
Bonjour Jean-Pierre,
Je viens de lire ta lettre adressée à nos amis Réalisateurs….
Je l’applaudis des deux mains !
Je suis heureux que tu aies exprimé tout haut ce que je rumine depuis des semaines…
Je n’ai malheureusement pas pu trouver le temps de dire ou d’écrire jusqu’ici mon désaccord avec le "collectif", trop accaparé que je suis par le long métrage que je suis en train de tourner (un film sous financé… avec une équipe formidable acceptant des conditions très difficiles), qui me prend toute mon énergie et tout mon temps (et ceux des personnes dont la valeur se trouve accusée par ceux-là mêmes — les réalisateurs — qui dépendent d’elle pour survivre !)…
Je suis extrêmement choqué par ce qui ressemble à un putsch sur la SRF, par ces prises de position contre la convention collective, par cette manière implicite de dénigrer les techniciens et ouvriers du cinéma, par cette façon de marginaliser un cinéma qui l’est déjà…
Mon film n’est pas "un film du milieu", je me bats depuis plus de 10 ans pour le faire, et les moyens dont nous disposons (l’avance sur recettes, que j’ai failli perdre, une région, un prestataire-coproducteur, un coproducteur belge et un petit distributeur) font qu’il doit être "un film du sous-sol", de la cave ou des bas-fonds…
Les chaînes de télévision, les gros distributeurs, les SOFICAs veulent que ce cinéma de l’ombre disparaisse et, au lieu que cela crée une dynamique pour dénoncer cette politique d’extinction des films du sous-sol, on voit des cinéastes de l’entresol ou du milieu se joindre à eux pour nous donner un dernier coup sur la tête ! Evidemment qu’ils se tirent une balle dans le pied, nos collègues ! Comme si le droit du travail et la protection sociale des techniciens et des réalisateurs étaient une menace sur le cinéma français !
Je trouve ambiguë cette appellation "du milieu", et n’en reviens pas que celui-ci ait pris le nom de "collectif" pour faire cette proposition de déclasser plus encore, en les mettant au régime général, ceux qui le sont déjà (après les atteintes au statut d’intermittent) : les techniciens qui se battent pour faire exister un cinéma fragile et courageux…
J’avais déjà eu le souffle coupé quand j’avais lu un texte qui vantait le "cinéma communiste" pour s’en prendre à la convention collective… Aujourd’hui je suis consterné de voir que presque tout le monde, dans le milieu des réalisateurs, nie l’histoire du cinéma, la conscience sociale et politique qui semblait animer ceux qui le font, et je me dis que si c’est la panique qui les saisit (les poussant ainsi à un tel aveuglement), rien ne justifie de tels actes (devenir des putschistes !)…
Sache que tu n’es donc pas seul à éprouver ce mélange de consternation et de colère.
Amitiés sincères.
Jacques Deschamps
(Lire ou relire "Une défaite de la pensée !", par Jean-Pierre Thorn)