Janvier 2025, une visite de l’AFC à la société Noir Lumière

par Noir Lumière Contre-Champ AFC n°364


À un mois du dixième anniversaire de la création de la société Noir Lumière, le 9 février 2015, Hazem Berrabah, Rémy Chevrin et Nathalie Durand, membres de l’AFC, ont visité les locaux de la société dans le centre de Paris et ont assisté à une démonstration des possibilités de conservation et de gestion de catalogues de films qu’elle offre à ses clients dont l’AFC fait partie.

Après une longue carrière dans la postproduction François Dupuy et Tommaso Vergallo ont imaginé créer à leur tour un laboratoire. C’était le moment où les grands laboratoires historiques situés en banlieue fermaient et où de petits laboratoires se développaient dans Paris intra-muros. Ils ont alors choisi de ne pas les concurrencer mais de se positionner en fin de postproduction une fois que les longs métrages sont étalonnés et mixés.
En effet, avec le numérique, un film n’est jamais vraiment terminé. Outre la fabrication des livrables pour le cinéma, la télévision et les plateformes, il y a toujours des changements de dernière minute, comme modifier un sous-titre ou une piste son, ajouter un carton ou rectifier une coquille dans un générique. Il y a aussi les festivals et la vente à l’international avec de nombreuses versions à livrer, et, à la toute fin de la chaîne, qu’en est-il de sa conservation pérenne ?

Pour développer un projet qui réponde à ces problématiques, ils se rapprochent de la société CN Films qui est le leader de la gestion des sorties de films en salles et Étienne Traisnel les rejoint devenant ainsi co-fondateur de Noir Lumière.

Parallèlement à la création d’une plateforme à destination des ayants droit, ils réfléchissent ensemble à un processus de conservation des films basé sur une technologie dématérialisée dans le cloud. Un travail pédagogique est alors initié auprès des producteurs et productrices et Tommaso Vergallo a l’idée de faire appel à Margaret Menegoz et Régine Vial, des Films du Losange, qu’il connaît depuis plus de 25 ans, afin de tester avec elles la plateforme.
Ils choisissent alors de travailler avec la société OVH dont l’avantage est d’avoir des datacenters en France et d’être une société de droit français qui n’est pas soumise au Patriot Act contrairement aux sociétés américaines des GAFA. En effet le Patriot Act permet à l’état américain de regarder et d’écouter ce qu’il y a dans les datacenters et même, si un comportement qu’ils jugent suspicieux est détecté, d’en couper l’accès aux ayants droit.

Les fichiers cinéma confiés à Noir Lumière sont stockés dans le nord et répliqués dans un second site distant de plus de 600 kilomètres. Dans chacun de ces deux datacenters Noir Lumière ouvre, pour chaque ayant droit souscrivant, un contrat de conservation un coffre-fort personnel avec une clé d’accès qui lui est dédiée. Cela permet à l’ayant droit d’avoir la garantie de pouvoir accéder à son film dans le cas où la société Noir Lumière cesserait son activité.
L’incendie de 2021 du datacenter de Strasbourg a servi de "crash test" pour Noir Lumière qui n’a perdu aucune donnée. En effet chaque fichier numérique a un triple miroir dans chaque datacenter puis est placé dans des zones différentes. Il peut être stocké dans le "chaud", où l’accès pour l’ayant-droit est immédiat 24 heures sur 24, ou bien dans le "froid," où l’accès se fait après une attente qui peut varier de 10 minutes à 24 heures.

Au cours de ces 10 ans d’activité, Noir Lumière a reçu en conservation et en distribution près de 10 000 films dont deux tiers de courts métrages. En effet, en 2019, le Centre national du cinéma et de l’image animée a rendu obligatoire l’existence d’un contrat de conservation avant de délivrer l’agrément de production d’un film.
En 2023, la société reçoit le Prix de l’innovation aux César & Techniques. C’est une consécration qui leur donne de la notoriété et les fait connaître à l’international.
L’année suivante, en 2024, ils décident de faire le bilan carbone de l’entreprise dans une démarche volontaire car c’est sur la base du volontariat que les industries techniques du cinéma doivent initier leur bilan carbone. Ils sont ainsi confortés dans leur choix d’avoir fait appel à une infrastructure déjà existante au lieu de créer la leur propre. En effet ce système de coopérative diminue l’empreinte carbone d’autant qu’OVH est en recherche constante de sobriété énergétique.
Noir Lumière fait donc partie des labos de conservation recommandés pour obtenir l’agrément de production auprès du CNC.

Noir Lumière a développé une plateforme qui n’est pas un site web mais une application native mise à disposition de l’ayant droit pour gérer son catalogue. Il l’installe lui-même sur son ordinateur ou son smartphone. Tous les fichiers confiés à Noir Lumière peuvent être visionnés sur l’Appli en streaming sécurisé indépendamment de la quantité de réseau.
L’application est développée et gérée par trois développeurs maison, ingénieurs en informatique. Cette indépendance permet d’ajuster l’application selon les souhaits des utilisateurs et de garantir le plus haut niveau de cybersécurité.

L’application Noir Lumière a été conçue comme "une application pour les nuls" avec une navigation facile, des codes visuels simples (un flocon pour les films en stockage "froid", un soleil pour le stockage "chaud") ou des nuances de gris pour le type de matériel (noir le film, gris le film annonce et blanc le teaser) avec la possibilité de piloter le film image par image au lieu de paquets d’images ou par bobines de film.
Évidemment il y a aussi une fiche technique qui en résume les caractéristiques.
Cela permet à l’ayant droit d’avoir une vue d’ensemble de son inventaire, de créer lui-même un extrait de film, de le "watermarker" et de créer un lien "screener" sécurisé pour l’envoyer à un tiers. Il peut également transcoder les fichiers d’un format à un autre comme par exemple un DCP en H264.

Pour Noir Lumière, il y a trois catégories d’ayants droit qui lui confient leurs films :
- Le producteur qui fournit les fichiers numériques nécessaires pour le contrat de conservation pérenne demandé par le CNC. Il s’agit généralement des Masters image et son : DSM (Digital Source Master) et/ou DCDM (Digital Cinema Distribution Master) et mix audio ainsi qu’un fichier de distribution cinéma type DCP (Digital Cinema Package) et ProRes pour les télévisions et les plateformes.
- Le distributeur qui, à travers l’application, peut livrer lui-même le film sous forme de DCP crypté et créer pour chaque film un KDM (Key Delivery Message) qui en est la clé de décryptage et permet la projection sécurisée du film dans les salles de cinéma.
Il gère également le matériel promotionnel pour la presse, les films annonce, les teasers, les interviews et les photos ou affiches. Il peut également demander à Noir Lumière de le faire pour lui. L’attaché de presse peut aussi partager le film avec les journalistes au moyen de liens screener sécurisés et watermarkés discrètement afin que l’image prédomine et sans capture d’écran possible mais avec récupération de l’analytique de lecture qui permet à l’ayant droit de voir comment le film a été regardé.
- Le vendeur à l’international qui négocie les licences pays par pays, région par région. Il propose aux acheteurs un site web créé par Noir Lumière et relié à l’application qui leur permet de voir le matériel accessible et, le cas échéant, de l’acheter, de se le faire livrer et le payer en ligne. L’ayant droit peut ainsi gérer les autorisations et suivre en temps réel les transactions.

D’ailleurs quelques chefs opérateurs de l’AFC ont déjà adopté Noir Lumière pour un coût modique et, avec l’autorisation des ayants droit des films sur lesquels ils ont travaillé, peuvent en gérer de courts extraits, des sorties de photogrammes ou des liens screener sécurisés.
L’AFC elle-même envoie dans le monde entier ses essais d’optiques ou les captations de ses conférences et autres Master Class, le tout conduit avec l’application et conservé chez Noir Lumière.

Dailycious
Cinq ans après avoir démarré, Noir Lumière s’impose l’idée de proposer aux chefs opérateurs et cheffes opératrices, aux DIT (Digital Imaging Technician) et aux Data Manager ainsi qu’à tout membre de l’équipe de tournage une application qui leur permettrait le partage et la visualisation des rushes ou dailies.
François Dupuy et son équipe de développeurs, en partenariat avec la société Be4Post, ont ainsi développé une application native nommée Dailycious en raison de la délicieuse satisfaction que son utilisation simple et facile va procurer à tous ceux qui visionnent chaque jour les rushes ou dailies du tournage.

François Dupuy - Photo Ariane Damain Vergallo
François Dupuy
Photo Ariane Damain Vergallo

Habituellement il est fourni aux techniciens un lien de type Vimeo ou Pix d’un bout à bout de la journée de tournage sans identification de plans ni métadonnées.
Avec Dailycious, ce sont tous les plans qui sont présentés suivant les numéros de clap, les prises cerclées, la chronologie par jour de tournage ou la place des plans dans le scénario avec les métadonnées et d’éventuels commentaires.
Ce qui permet d’échanger de manière synchrone via des EDL (Edit Decision Lists) ou play lists sécurisées avec le montage ou le labo de postproduction. Il est facile de naviguer, clip par clip, avec des images de bonne qualité, fidèles à l’étalonnage et à la LUT (Look Up Table) de la prise. L’utilisateur peut aussi choisir l’opacité et la place du watermark dans l’image.

Deux options sont possibles pour utiliser Dailycious. La première consiste à appairer les iPads de chaque membre de l’équipe avec la caméra ou le poste de travail du DIT. Il n’y a donc pas besoin de réseau Internet car les rushes sont ainsi visionnés en "local". C’est la solution idéale pour des tournages dans des lieux isolés comme la montagne, la mer ou le désert ou tout autre endroit sans réseau. La deuxième option demande du réseau car elle utilise les Proxy qui sont stockés dans le cloud et sont streamés dans les iPads de l’équipe.
Il y a de multiples utilisations de l’application Dailycious. Sur le tournage du film Notre Dame brûle, de Jean-Jacques Annaud, le chef décorateur Jean Rabasse, ADC, a utilisé l’application Dailycious pour y mettre de vrais stock-shots de la cathédrale qui brûlait et les comparer ensuite, image par image, avec les plans du tournage. En règle générale Dailycious est particulièrement prisé des techniciens et techniciennes concerné(e)s par la continuité de l’image : réalisation, décoration, accessoires, SFX, voire VFX, costumes et maquillage. Pour le tournage des séries, l’application est utilisée pour le cross-boarding et la visualisation des plans par épisode.

Dailycious est donc une alternative française à Vimeo, Pix ou Frame-IO, qui sont américains. C’est une application commercialisée par Be4Post qui la propose dans son package.
Dailycious a un site web dédié aux utilisateurs pour la demande d’une licence. On peut trouver l’application Dailycious sur l’App Store.

Texte rédigé pour Noir Lumière par Ariane Damain Vergallo, d’après les propos de Tommaso Vergallo et François Dupuy, ainsi que les questions et commentaires de Hazem Berrabah, Rémy Chevrin et Nathalie Durand, en janvier 2025.