Jean-Jacques Bouhon, une amitié cinquantenaire
Par Jean-Noël Ferragut, AFCCher JJ,
C’est drôle comme la vie se rie parfois des petites tracasseries de notre quotidien. Comme je te l’ai souvent dit, chaque fois que je viens ici dans des circonstances analogues à celle-ci, je ne comprends pas la moitié des paroles prononcées en raison de la piètre acoustique de ce lieu et surtout d’une audition plus que défaillante. Et je me sens tout chose aujourd’hui de devoir m’adresser à toi, planté là devant ce micro.
Bien que tu aies désormais l’éternité devant toi, ces quelques minutes et ces quelques mots ne suffiront pas à exprimer notre longue relation amicale. Nous aurions pu fêter le mois dernier les noces d’or de cette amitié car cela fait exactement cinquante ans que nous nous connaissons. Sachant que je te voyais une dernière fois ce matin, j’avais mis une bouteille de champagne au frais mais je ne l’ai pas apportée car il n’y en aurait pas eu pour tout le monde...
Rappelle-toi, cher JJ, nous nous sommes rencontrés en septembre 1967 sur les bancs de l’IFC, un institut de formation qui préparait aux concours d’entrée des grandes écoles de cinéma, dont celle de la rue de Vaugirard, l’ancêtre de Louis-Lumière où nous avons fait nos classes. Et depuis, contre vents et marées, cette solide amitié ne s’est jamais interrompue.
Rappelle-toi, cher JJ, nous allions voir les mêmes films, ou plutôt nous aimions le même cinéma, nous aimions aussi la même façon de faire du cinéma. D’ailleurs, à nos débuts, nous tournions les mêmes films, échangeant les rôles de l’un à l’autre entre cadreur et chef opérateur, cherchant l’inspiration dans le travail des mêmes directeurs de la photographie. Puis, avec le temps, notre parcours professionnel a suivi son propre chemin, plus personnel.
Rappelle-toi, cher JJ, nous avons partagé au fil des années nos joies, nos peines, la mort de tes parents, ton mariage, la naissance de ta fille, et plus récemment le décès de ton frère. Nous avons beaucoup de connaissances communes. Je ne les citerai pas toutes de peur d’en oublier une seule mais tu ne m’en voudras pas si j’évoque rapidement, histoire de sourire un peu, le souvenir de l’une d’elle en particulier, qui nous a quittés il y a longtemps.
C’était l’un de tes amis les plus chers, sans doute le plus fidèle. Comme le reflet de ton extrême bonté, tu l’avais rencontré par hasard, un soir où il errait au coin d’une rue comme une âme en peine, et, compatissant, tu l’avais illico recueilli sous ton toit. Ayant trouvé le gîte confortable, le couvert alléchant et l’ambiance familiale plutôt sympathique, notre ami s’est installé chez toi, et ce jusqu’à la fin de ses jours, pensant dans son for intérieur qu’il ne trouverait jamais meilleur domicile fixe.
Cet ami s’appelait Lucien, un prénom peu banal pour quelqu’un de sa race, car Lucien était un chien, un petit chien à poil ras et noir dont tu ne connaissais rien, encore moins son nom. Tu avais commencé par l’appeler "Le chien", mais comme tu trouvais ça un peu trop anonyme, tu avais alors choisi Lucien, plus proche d’un point de vue phonétique. Dans un sens et avec le recul, ça ne m’étonne pas trop de toi car Lucien, c’est un prénom plutôt lumineux pour un chien ! Lucie, luce, luz, lux, la lumière…
D’ailleurs j’ai un message personnel pour toi, Lucien, si tu m’entends. Quand, d’ici quelques jours, te passeras devant la terrasse du Mont-Cenis local, là-bas, là-haut, et que tu y apercevras Jean-Jacques assis à une table, son chapeau préféré sur la tête, arrête-toi un instant et offre-lui un café de ma part, ça lui fera certainement plaisir.
Je te prie de m’excuser de cet aparté, cher JJ, mais je reviens vers toi. Tu étais un homme de grande culture, tu m’as beaucoup appris, surtout au moment de tenter de rédiger, dans un français à peu près correct, des articles pour la Lettre et pour le site de l’AFC. A propos de l’AFC, comme tu aimes bien en avoir des nouvelles fraîches, je peux t’en donner deux.
La première est que la semaine passée, nous avons reçu sur le dialogue actif – pour ceux qui ne connaissent pas, c’est une messagerie d’échanges interne aux opérateurs de l’AFC –, nous avons reçu un nombre conséquent de messages à la fois émus et chaleureux à la suite du décès de quelqu’un que tu connaissais bien, un certain JJ Bouhon, témoignages de sympathie destinés à sa famille et à ses proches. La deuxième est que, jusqu’à preuve du contraire, l’AFC se porte comme un charme !
Sur cette dernière et bonne nouvelle, sache que, où que tu sois, tu ne seras jamais seul et que l’on pensera beaucoup à toi. Que ton âme, cher JJ, repose en paix !