L’argent français est présent dans 12 des 22 films en compétition à Cannes

par Isabelle Regnier

Le Monde, 17 mai 07

Au-delà des quatre films français, un grand nombre de longs métrages de la compétition du Festival de Cannes, qui a lieu du 16 au 27 mai, sont produits, ou coproduits, par des sociétés françaises. Douze cette année sur un total de vingt-deux. Ce phénomène était naguère au coeur d’une polémique lancée par le journal américain Variety, qui voyait le signe d’une préférence nationale du comité de sélection.
Thierry Frémaux, délégué artistique du Festival de Cannes, s’en défend. Il affirme découvrir les films sans leur générique, venant de partout dans le monde, et met une attention particulière à tenir ses interlocuteurs à égalité, quelle que soit leur nationalité.

Un film coproduit avec la France sera de toute façon présenté à Cannes par le partenaire français. « Le fait de connaître les gens permet sans doute de retenir plus facilement l’attention du comité de sélection », dit Christian Baute, coproducteur français de La Forêt Magari, film de la Japonaise Naomi Kawase. « Mais cela ne change rien à son appréciation. Pour nous, ce n’est pas un argument pour monter une coproduction. »

Selon M. Frémaux, si la France est présente dans tant de films cette année, c’est le résultat d’un phénomène plus global, qui prend sa pleine expression cette année : « Le cinéma suit son époque. Les films se mondialisent, ils sont faits avec de l’argent du monde entier. Comme du temps où Toscan du Plantier et Serge Silberman finançaient les films de l’Indien Satyajit Ray et du Japonais Kurosawa, la France a son nez partout. D’autant qu’il existe aujourd’hui une jeune génération de producteurs, de distributeur et de vendeurs particulièrement actifs sur la scène internationale. »

Le système français favoriserait cet état de fait, souligne Geoffroy Grison, producteur de Tehilim, le film israélien de Raphaël Nadjari : « La France reste un des seuls pays où il est possible de trouver des partenaires susceptibles de s’intéresser à un film pour ses qualités artistiques et pas seulement pour son potentiel financier ».

C’est un échange

Unique au monde, la cinéphilie française, ouverte sur toutes les cinématographies, se diffuse à travers les maillons de la chaîne du cinéma, des producteurs à la presse en passant par les vendeurs internationaux et le public : « Nadjari n’a jamais tourné en France, mais c’est le pays où il jouit de la plus forte notoriété », poursuit le producteur. « Ses films réalisent de 40 000 à 50 000 entrées ». Si bien que Tehilim, tourné en Israël, en hébreu, avec des acteurs israéliens, a pourtant été financé à 80 % par de l’argent français, réparti entre l’aide aux films en langue étrangère du CNC, un petit préachat de Canal+, la Sofica Arte Cofinoga, et l’investissement d’un distributeur et d’un vendeur international.

Car la France ne se contente pas d’être présente dans les productions de la compétition. Elle est souvent majoritaire, et parfois même seule. Alors que les deux derniers films de Gus Van Sant étaient produits par la chaîne américaine HBO, Paranoid Park l’est intégralement par MK2, qui a mis sur la table les 5,5 millions de dollars de budget.

Le Scaphandre et le papillon, de l’Américain Julian Schnabel, est un film français, tourné en France, en langue française et avec des acteurs français. C’était pourtant un projet américain. Les droits du livre ont été achetés par Steven Spielberg, et sa productrice Kathleen Kennedy en a transmis le script à Julian Schnabel. Mais un concours de circonstances l’a ramené dans le giron de Pathé, qui l’a financé avec France 3, Canal+, et une aide régionale.

Le cas du film Lumière silencieuse, du Mexicain Carlos Reygadas, est encore différent puisque le jeune auteur est en contrat depuis trois ans avec le distributeur Jean Labadie (Bac Films), qui prend en charge ses frais généraux à l’année en échange d’une sorte de droit de priorité sur ses projets. « C’est un échange entre ceux qui ont la capacité financière, et ceux qui ont la capacité de création. Je l’ai expérimenté pour la première fois avec Jim Jarmusch et cela fait douze ans que cela dure ». Bac a investi 700 000 euros et Arte 200 000 sur les 1,3 million d’euros de budget de Lumière silencieuse.

La France est majoritaire dans Persepolis, le film de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, ainsi que dans L’Homme de Londres, du Hongrois Bela Tarr. Elle est minoritaire dans Promets-moi du Serbe Emir Kusturica, Import Export de l’Autrichien Ulrich Seidl, et 4 mois, 3 semaines et 2 jours du Roumain Cristian Mungiu.

Ces films auraient-ils pu se faire sans la France ? Sans doute, mais plus lentement, peut-être avec moins d’argent. Comme le dit Nathanaël Karmitz, le cinéma du monde entier est soumis à une logique qui le déborde largement : « Il y a de plus en plus d’argent pour les plus riches, et de moins en moins pour les plus pauvres ».

(Isabelle Regnier, Le Monde, 17 mai 2007