L’éditorial de la Lettre de juillet-août 2019

Par Gilles Porte, président de l’AFC

par Gilles Porte La Lettre AFC n°299

Il y a 15 jours, l’un des sujets au bac philo était : A quoi bon expliquer une œuvre d’art ? Intéressant de poser cette question à des lycéens qui n’ont eu guère l’occasion de se voir enseigner des matières artistiques à l’école…

Que les mots du philosophe Bergson, pour qui « l’artiste est avant tout un homme qui voit mieux que les autres et envisage le réel au-delà de son utilité », ouvrent et guident cette nouvelle Lettre sans pour autant que je ne réponde à la question posée, préférant laisser cet exercice à celles et ceux dont une de leurs fonctions est de corriger des copies, faute d’enseigner la musique, la danse, le cinéma, le dessin, la sculpture ou la photographie…
Et puisque cet édito est celui d’une Lettre AFC, permettez-moi de focaliser ici sur un art dont on nous a dit un jour qu’il s’agissait du septième…
Alors que des lycéens transpirent pour tenter de répondre à une problématique qui soulève le bien-fondé de l’analyse d’une œuvre artistique, d’autres, ex-diplômés de très grandes écoles, tirent des conclusions au sein de différents rapports sur le financement privé du cinéma et de l’audiovisuel et sur le contrôle du Centre national du cinéma et de l’image animée, avec des logiques libérales déconcertantes…
Dans ces rapports, la question de la rentabilité du cinéma français est à nouveau pointée du doigt. Ils soulignent que la moitié des œuvres cinématographiques hexagonales font moins de 50 000 entrées en salles.
Mais, est-ce les spectateurs qui rejettent ces films ou les acteurs du marché qui ne les supportent pas ? La sortie d’un film dans un circuit peut-elle être comparée à celle d’un film très peu diffusé ?
La surproduction, la surexploitation et la surexpostion de certains films sur les écrans ne devraient-elles pas être plus objectivement analysées afin d’avoir une grille de lecture plus réaliste sur la rentabilité du cinéma français ?
Quant à la rentabilité elle-même, peut-elle être vraiment établie en prenant uniquement en compte le nombre d’entrées en salles ?

Inventé par des scientifiques, développé par des chimistes, mis en place par des mécaniciens, le cinéma est le premier art dont l’origine et la naissance sont industrielles… Et qui dit « échelle industrielle » dit « commerce »… Aucun de nous, au sein de l’AFC, ne l’ignore… Si le cinéaste a l’obligation de prendre en compte l’avis du spectateur, faut-il pour autant qu’il en devienne esclave ? Ne doit-il pas plutôt placer son curseur entre son envie personnelle et le goût du public ? Faut-il continuer à opposer les tenants d’un cinéma purement artistique à ceux d’un cinéma de divertissement, alors que l’essence même du cinéma est d’être l’un et l’autre ?

Alors, avant que le CNC ne s’abandonne à l’utilitarisme que dénonçait Bergson en subventionnant exclusivement les films qui font le plus d’entrées, saluons ces "Indiens" et ces "Indiennes", qu’on appelle « indépendants » et qui montent à cru leurs chevaux. Et n’occultons pas le fait que s’ils sont caractérisés comme « indépendants », c’est tout simplement parce qu’en se retournant, ils n’aperçoivent pas grand monde dans leur sillage !

En vignette de cet éditorial, image recréée à partir de la couverture de la Lettre 299 utilisant le visuel de l’affiche du Festival de La Rochelle, par Stanislas Bouvier.