"L’œil à la caméra – Cinquante ans d’images"

Un ouvrage de Jean-François Robin, AFC

Contre-Champ AFC n°334

L’œil à la caméra – Cinquante ans d’images, dernier ouvrage du directeur de la photographie Jean-François Robin, AFC, vient de paraître chez l’éditeur L’Harmattan. Son livre « raconte les images [de film], les souvenirs et les rencontres qui ont illustré [sa] carrière "d’opérateur de prise de vues" ». En voici quelques courts extraits...

« Pour un chef opérateur, la finalité du tournage d’un film est d’en enregistrer les images. Celles-là resteront, fixées à jamais sur une pellicule ou dans un fichier numérique, et de plus, elles sont reproductibles. On pourra les revoir à chaque fois que le film sera diffusé, dans son intégralité, en extraits ou en photographies. Ce livre raconte donc les images, les souvenirs et les rencontres qui ont illustré ma carrière "d’opérateur de prise de vues" tout au long des quatre-vingt-dix films que j’ai tournés. Des images de tous ceux qui gravitent autour de la création, des images de ceux qui sont en haut de l’affiche et des autres qui restent dans l’ombre, des images du hors-champ qui se cache derrière l’écran. Enfin, les images des films qui ont fait l’histoire. Elles sont précieuses et il faut les conserver parce qu’elles constituent une mémoire du cinéma et que chaque art a besoin d’une mémoire. » Jean-François Robin

Une vie de mercenaire
Entre mes deux années d’école de cinéma, j’ai donc eu la chance d’obtenir pendant les vacances d’été ce premier tage sur un tournage et "d’intégrer" l’équipe de prise de vues de La Vie de château. C’est là que j’ai commencé à apprendre mon métier. Un stage non rémunéré.
Pour me faire gagner quelques sous, la production a accepté que je fasse de la figuration. Dans les scènes de guerre (le film se passe en Normandie pendant l’Occupation) j’ai aidé à grossir les troupes qui défilaient dans le film. Sans état d’âme, j’ai endossé aussi bien l’uniforme américain qu’anglais ou allemand et à chaque fois qu’il me voyait changer de camp et de costume, Philippe Noiret se moquait gentiment en me traitant de mercenaire. Une vie de mercenaire qui ne faisait que commencer, elle m’amènerait à tourner des films de toutes nationalités, français, anglais, belges, américains, espagnols et hollandais,

La gonzesse
Que ce soit dans La Vie de château ou dans la vraie vie, après le "coupez", la vie des acteurs et celle de l’équipe continue, et parfois elles se mélangent.

Pierre Brasseur, l’un des acteurs principaux du film de Jean-Paul Rappeneau, a plus de soixante ans, il est encore vert et contrairement à sa réputation, il ne boit pas. Sauf pendant les tournages de nuit. Il a prévenu la production : « La nuit je ne me contrôle pas », mais à la fin de la journée, juste après le dernier plan, il va rejoindre discrètement les machinistes « au cul du camion » comme ils disent. Je revois la scène : ils ouvrent une bouteille de Bordeaux ou boivent le pastis. Tout en sirotant et en blaguant avec les machinos, Pierre Brasseur surveille le chemin par où arrivent les voitures. Soudain il pose son verre et dit de sa voix gutturale : « Ah voilà ma gonzesse j’arrête. À demain les gars ! »
Sa gonzesse, qui vient le chercher tous les soirs, c’est à l’époque la chanteuse Catherine Sauvage.

Les pompes au bord du lac
De L’Œil écarlate, film policier de Dominique Roulet, scénariste de Chabrol et "inventeur" de l’inspecteur Lavardin, je me souviens d’un tournage harmonieux au bord du lac Léman où il fallait lutter sans cesse contre un producteur trop pingre.
Jean-Louis Trintignant jouait un commissaire alcoolique et neurasthénique, il m’impressionna par sa rigueur et sa bienveillance. Passionné de vin, il m’avait fait découvrir le Saint-Julien.
Entre les plans, pour mieux se concentrer, il allait s’asseoir seul au bord du décor. Il parlait peu et malgré son visage impassible, il avait parfois un humour froid et cinglant. Un après-midi, en observant son partenaire qui ne pouvait s’empêcher de "faire des pompes" avant chaque plan, il le regarda en souriant et me confia : « Imagine l’énergie qu’aurait ce type s’il ne faisait pas de sport ! »

Sauve qui peut la vie
Pendant plusieurs mois, j’ai croisé souvent Jean-Luc Godard dans l’escalier d’une maison de production située près de la place de l’Étoile. Il arrivait ou repartait d’un petit bureau qu’il occupait là depuis des années.
Je le saluais, il me répondait un "bonjour Monsieur" presque méfiant.
Homme réservé, au regard caché derrière ses légendaire lunettes fumées, toujours en imperméable mastic ou en veste sombre, il était le parfait "professionnel de la profession" de ce cinéma qu’il avait caricaturé sur la scène des César.
Un matin, en passant devant sa porte restée ouverte, je l’aperçus à quatre pattes sous son bureau, probablement en train de chercher un objet (ou une idée ?).
Je m’arrêtai sur le seuil et lui demandai timidement s’il avait besoin d’aide. Pas de réponse. J’aperçus seulement un pied qui se tendit lentement et poussa la porte qui se referma d’un coup.

Un sang froid sur canapé
Truman Capote nous attendait dans son immense suite à l’hôtel Ritz. Il n’y avait pas comme maintenant la queue dans les couloirs d’hôtels pour interviewer les Américains venus spécialement à Paris pour faire la promotion de leur dernière œuvre. Nous étions les seuls.
Il avait accepté qu’on le filme à condition d’être à demi-allongé dans une bergère rose assortie à la couleur de sa chemise. Il s’y prélassait en attendant qu’on apporte le champagne et avait donné en anglais les mêmes réponses aux mêmes questions qu’on lui avait posées des dizaines de fois à travers le monde, pas un mot de plus. Avec sa voix haut perchée inimitable.
Un an après la parution de In Cool Blood, le livre s’était déjà vendu à plusieurs millions d’exemplaires.

L’Œil à la Caméra – Cinquante ans d’images, de Jean-François Robin
Éditions L’Harmattan
Collection : Graveurs de Mémoire
Date de publication : 23 juin 2022
Broché - format : 13,5 x 21,5 cm - 184 pages

Entre autres ouvrages dont Jean-François Robin est l’auteur
Guillaume Apollinaire. Naissance d’une vocation (2018)
Ampère. Naissance d’une vocation (2016)
Bach Jean-Sébastien. Naissance d’une vocation (2014)
L’Abbé de Choisy habillé en femme, coécrit avec Sophie Deschamps (2013)
Journal d’un tournage - La Fille du puisatier (2011)
L’Oreille de Jeanne (2005)
La Disgrâce de Jean-Sébastien Bach, coécrit avec Sophie Deschamps (2002)
Anatomie d’un week-end libertin (1997)
Image par image (1996)
Daniel Auteuil, l’acteur (1988)
La fièvre d’un tournage - 37°2 le matin (1987).