"La Commission européenne conforte le système d’aides publiques au cinéma"

Par Alain Beuve-Méry et Philippe Ricard

Le Monde, 2 mai 2013

La Commission européenne espère parvenir, d’ici à la fin de l’été, à un accord sur le réexamen des aides publiques à la création d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Pourvu que cet accord satisfasse toutes les parties en présence.

Pour Joaquin Almunia, vice-président de la Commission, chargé de la concurrence, l’objectif est « de favoriser un cinéma authentiquement européen, en permettant aux productions transfrontalières d’être mises sur pied facilement. »
Mardi 30 avril, la Commission devait lancer sa troisième et ultime consultation sur le sujet, les premières ébauches ayant suscité de vives tensions avec les Etats (France, Allemagne, Royaume-Uni, notamment), et aussi les professionnels concernés.

« Il s’agit de prendre en compte les différents dispositifs d’aide existant sur le plan national, sous forme de subventions et de crédits d’impôt, affirme M. Almunia. Ce nouveau projet tente de réconcilier les points de vue différents exprimés par les Etats membres. »

Tous les aspects de la création désormais couverts
Selon la Commission, les Etats membres de l’Union européenne consacrent, chaque année, environ 3 milliards d’euros au secteur cinématographique : 2 milliards sous forme de subventions et de prêts à taux réduits et 1 milliard d’euros d’incitations fiscales. Cinq Etats (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Espagne) accordent l’essentiel des aides qui vont à 80 % à la production cinématographique.

Le système en vigueur a expiré au 31 décembre 2012. Les nouvelles règles envisagées élargissent le champ des activités soumises à autorisation par les gardiens de la concurrence, au titre des aides d’Etat : y figurent désormais toutes les phases de conception et de diffusion d’une oeuvre, et non plus la seule production, comme prévu depuis 2001.

L’aide accordée par les Etats pourra ainsi couvrir tous les aspects de la création cinématographique : de l’écriture des scénarios, au développement, à la distribution des films et même à leur promotion dans le cadre de festivals.

De même, la Commission accepte que les aides aux salles de cinéma soient autorisées, donnant ainsi satisfaction aux revendications allemandes. Le montant de ces aides, accordées aux cinémas en milieu rural ou aux salles d’art et d’essai, est considéré comme généralement modeste.

Sujet sensible
Enfin, la Commission exclut le secteur des jeux vidéo des règles conçues pour la production cinématographique.
Mais le sujet sensible reste les obligations imposées par certains Etats concernant la territorialisation des dépenses. Selon la Commission, ces pratiques « fragmentent le marché intérieur de la production audiovisuelle » et faussent la concurrence. La Commission a toutefois accepté de revoir sa copie en autorisant les Etats membres à continuer d’imposer des obligations de territorialisation des dépenses, jusqu’à 80 % du budget global de production du film.

Le montant des aides ne pourra toujours pas dépasser la moitié du budget d’un film. Ce seuil est relevé à 60 % pour les créations transfrontalières. En revanche, la Commission entend lever toutes les restrictions, quant à l’origine des marchandises et des services. Les pouvoirs publics ne pourront plus conditionner leurs aides à l’achat de biens et de services produits sur leur seul territoire. Ce principe devrait contraindre la France et l’Allemagne à revoir leurs dispositifs.

« Ces restrictions visent à assurer la compatibilité des régimes d’aide avec les principes du marché unique », note M. Almunia, qui doit tenir compte de la jurisprudence de la Cour de justice. S’il se montre soucieux de « prendre en compte la question de l’identité culturelle », il dit ne pouvoir « accepter la territorialisation que jusqu’à une certaine limite ».

La Commission attend désormais la réaction des Etats et des professionnels du cinéma. Pour eux, la question de la délocalisation et du maintien d’un tissu d’industries créatives demeure sensible. Il est essentiel que les critères imposés par la Commission soient compatibles avec la réalité des tournages.

(Alain Beuve-Méry et Philippe Ricard, Le Monde, 2 mai 2013)