La Commission supérieure technique a 60 ans

par Diane Baratier

par Diane Baratier La Lettre AFC n°138

La CST se porte bien pour son âge. Le 2 novembre 2004, la CST fêtait ses 60 ans. Comme le quotidien Le Monde, elle a été fondée juste après la Libération de la France.
Le 2 novembre 2004, nous étions invités à la Cinémathèque de Chaillot pour fêter son anniversaire. Afin d’animer cette soirée, Yves Louchez et Pierre-William Glenn ont remis le prix Vulcain de la CST à Eric Gautier, directeur de la photographie, pour (Clean d’Olivier Assayas et Carnets de voyage de Walter Salles.

J’étais très heureuse de pouvoir participer à cette soirée, car j’ai une grande admiration pour le travail de Gautier. Depuis 15 ans, j’apprécie ses innovations formelles qui racontent toujours l’histoire du film.
Eric avait choisi de nous présenter Rois et reine de Desplechin. C’est un film que je vous conseille d’aller voir. Desplechin nous avait avertis en présentant le film, qu’il y avait des poils sur cette copie, mais personne n’y avait cru. On aurait dit une blague vue la situation. Et bien non, la CST et Eric Gautier ont eu le courage de nous présenter une copie tirée dans la précipitation. Une copie rapidement tirée afin de permettre au film d’être sélectionné dans les festivals internationaux.

C’était très sympathique de voir que, malgré les prouesses techniques d’aujourd’hui, une copie issue d’un internégatif anamorphosé (d’après un négatif Super 35) pouvait avoir des défauts. Et comme d’habitude, cela n’a gêné personne pour être embarqué par l’histoire.
L’image du film est très musicale, le film est syncopé par le montage et par les décadrages. Un très beau travail de montage.
Je me suis demandé si j’aurais le courage de décadrer avec autant de liberté. Le rapport établi alors entre le réalisateur et le chef op’ n’est plus un travail d’exécution, mais une coopération artistique. J’ai demandé à Gautier comment il osait cadrer ainsi. Il m’a répondu que c’était grâce à une parfaite connivence avec le réalisateur, il travaille toujours en grande complicité sur un projet. C’est très important pour lui. C’est à travers des cas comme le sien que l’on peut se demander si être chef op’ ne serait pas l’équivalent en apport artistique d’un bon dialoguiste ou d’un musicien. On devient l’auteur d’un mouvement qui appartient à la sensibilité du cadreur. On le voit dans Carnets de voyage ou dans Rois et reine. On reconnaît la " patte " du regard de Gautier.

Glenn et Louchez ont demandé à des intervenants divers de venir récompenser le lauréat. Emmanuelle Béart a commencé par parler des qualités humaines nécessaires à la beauté d’une image. Elle a rappelé combien est important le regard de celui qui est au viseur. Comment elle, comédienne, peut s’épanouir si elle se sent en confiance, aimée, protégée par celui qui capte son image. Apparemment, le regard de Gautier dans Les Destinées sentimentales lui a permis de jouer totalement avec la caméra, jusqu’au bout des ongles, car elle n’était jamais sûre qu’il n’irait pas cadrer cette main à gauche, en plein dialogue. Et ça, elle a beaucoup aimé les deux yeux ouverts de Gautier, l’œil gauche à la recherche du hors champ et le droit qui cadre. Cela l’obligeait à jouer complètement, comme au théâtre, sans penser au cadre. Elle a dit bien d’autres choses que j’ai oubliées, mais elle était sincèrement heureuse de remettre le prix à son partenaire de jeu, l’homme à la caméra.
C’est à ce moment qu’on a vu la forme carrée du prix Vulcain. Un pavé de verre, pas évident à placer dans son salon. L’inscription " Cinématographe" , placée au centre, sauve l’objet. En effet, elle rappelle le terme exact qui nomme le chef op’. J’aime beaucoup cette appellation pour décrire notre métier, cinématographe.

Jean-Michel Frodon était présent. Il était sur l’estrade lui aussi pour congratuler le technicien au nom des Cahiers. Cela fait plaisir de voir que la CST s’ancre dans l’art du cinématographe tout en conservant un œil sur les nouvelles technologies.
Un peu plus tard dans la soirée, j’appris qu’une intervention sur la couleur à travers le signal numérique aurait lieu le lendemain soir. Je m’y suis rendue. J’ai assisté à un cours magistral dans les locaux de la CST, avenue de Saint-Ouen. Un cours sur la couleur en numérique fait par plusieurs intervenants. Ils m’ont passionnée. Ils parlaient la langue des poètes : bit, signal, courbe, fréquence, diagramme, finalement des mots qu’on arrive à percer. Merci la CST.