Le 70e Festival de Locarno annonce son palmarès

José Luis Alcaine, hommage et entretien

La Lettre AFC n°278

Lors de la cérémonie de clôture du 70e Festival de Locarno, samedi 12 août 2017, le jury, présidé par le cinéaste Olivier Assayas, a annoncé son palmarès. Parmi les films en compétition, il a décerné le Léopard d’or au documentaire de Wang Bing, Mrs. Fang. A l’occasion de cette 70e édition, le festival a rendu hommage au directeur de la photographie espagnol José Luis Alcaine.

Le Prix spécial du jury a été attribué aux Bonnes manières (As boas maneiras), de Juliana Rojas et Marco Dutra, photographié par Rui Poças, et le Léopard pour la mise en scène, à F. J. Ossang pour 9 doigts, photographié par Simon Roca.
Le Léopard pour la meilleure actrice est revenu à Isabelle Huppert, pour son rôle dans Madame Hyde, de Serge Bozon, photographié par Céline Bozon, AFC.
Le Prix spécial du jury Ciné+ Cinéastes du présent est allé au film Milla, de Valerie Massadian, photographié par Mel Massadian et Robin Fresson.
Locarno a nommé pour les "European Film Awards" – Prix Pianifica le court métrage de Loukianos Moshonas, Jeunes hommes à la fenêtre, photographié par Mauro Herce.

José Luis Alcaine - Photo Jesus Ugalde
José Luis Alcaine
Photo Jesus Ugalde

Jeudi 10 août sur la Piazza Grande, le Festival de Locarno rendait hommage au directeur de la photographie José Luis Alcaine en lui remettant le Vision Award TicinoModa, prix dédié à ceux qui, par leur talent, ont su tracer de nouvelles perspectives dans le monde du cinéma.

Voir la vidéo "Alcaine Passion", où José Luis s’exprime en français sur son travail.

José Luis Alcaine et son Léopard d'honneur - Photo Festival de Locarno
José Luis Alcaine et son Léopard d’honneur
Photo Festival de Locarno

Interview de José Luis Alcaine par Iria López (traduite de l’anglais par Laurent Andrieux pour l’AFC)

« Le secret, c’est la lumière naturelle. »

Vous travaillez la lumière et avez toujours dit que le plus important est de rechercher l’ « authenticité » de la lumière, par opposition à l’utilisation d’effets artificiels. Quels sont les secrets qui vous permettent de trouver la bonne lumière, de toujours l’utiliser au bénéfice du film, et d’en faire varier les modèles en fonction du genre dans lequel ils s’inscrivent ?

J. L. A. : Le secret réside dans l’observation de la lumière naturelle, qui peut provenir d’une fenêtre, du soleil ou de la lune. Vous devez toujours rester attentif sur le plateau, afin que votre travail puisse jouer son rôle dans la transmission du sentiment que vous voulez exprimer, selon le film. Il est important de considérer attentivement l’éclairage présent dans le décor. Pour cela, nous devons être aidés par le chef décorateur, car dans les plans d’emplacement des lampes, il y a déjà presque l’ambiance du film. Cela est très visible dans les films de science-fiction, où les décors sont souvent conçus sur mesure et, par conséquent, vous pouvez choisir dès le début la lumière de base de votre travail.

Parmi les nombreux réalisateurs avec lesquels vous avez travaillé, on peut certainement distinguer votre collaboration avec Pedro Almodóvar. Comment cette rencontre s’est-elle produite et comment était-il possible de créer cette symbiose visuelle entre la volonté du réalisateur et votre cinématographie, qui est devenue une figure stylistique immédiatement reconnaissable ?

J. L. A. : Je dois dire que j’essaie de m’adapter totalement aux réalisateurs. Pedro se préoccupe toujours de l’ambiance, du paysage, des couleurs, qui sont en continuité dans tous ses films. Et je le suis avec le genre de cinématographie qui reflète sa vision du monde. Mais sans aucun doute, les films de Pedro se distinguent de tous les autres sur lesquels j’ai travaillé. Si vous regardez Les 13 roses, Altamira ou Passion, vous voyez que mon travail est différent à chaque fois. Une fois, Bigas Luna m’a demandé comment il était possible qu’ayant terminé un film le samedi, j’en commence un autre le lundi, complètement différent. J’ai répondu : « C’est parce que je n’ai pas de mémoire. » Je m’impose de ne pas penser à ce que j’ai fait dans le film précédent, et ça marche plutôt bien.

Ces dernières années, vous avez établi une collaboration fructueuse avec un écrivain du calibre de Brian De Palma, de l’hitchcockien Passion au nouveau défi, encore en cours de travail, de Domino.

J. L. A. : Nous travaillons très bien parce que nous nous entendons très bien. Une anecdote : lorsque nous avons commencé à travailler sur Passion, je lui ai demandé : « Pourquoi m’avez-vous appelé ? ». Il m’a répondu : « La vérité est que j’ai vu tant de vos films et vous êtes l’un des rares qui se soucient vraiment de faire ressortir la beauté des interprètes. »

Des films de reconstitution historique aux films d’auteur (Aranda, Erice), en passant par des comédies ou des drames plus commerciaux, vous avez assisté, d’une position privilégiée, à toute l’évolution du cinéma espagnol pendant près d’un demi-siècle d’histoire. Quels changements avez-vous observés ?

J. L. A. : Le changement n’est pas seulement dans le cinéma espagnol. Parler de tendances nationales était possible lorsque j’ai commencé à travailler, dans les années 1970, mais maintenant le cinéma est une industrie universelle. Cela a changé la vision des nouveaux cinéastes. Pourquoi ? Fondamentalement du fait des nouvelles façons de tourner qu’elle a créées pour permettre aux cinéastes d’étudier tous les films réalisés jusqu’à aujourd’hui. En conséquence, un cinéaste qui veut faire un film - par exemple sur la Seconde Guerre mondiale - peut voir beaucoup de films sur le sujet.
Ainsi, les cinéastes d’aujourd’hui sont formés en se référant au cinéma des autres, alors que les anciens étaient plus originaux d’une certaine façon, plus purs. Ils se souciaient surtout des histoires, qui étaient très humaines. Aujourd’hui, ils sont influencés par les films du passé, et cela est bon pour les films d’action : vous pouvez aller voir les meilleurs accidents de voiture de la dernière décennie et les imiter, en ajoutant peut-être quelque chose. Mais en ce qui concerne les émotions, le côté humain, c’est une chose qui ne peut être imitée, il faut la créer : elle vient du contact entre les acteurs et le cinéaste... Et cela manque maintenant. Un appauvrissement, pour le cinéma.

Vous prétendez que la célèbre peinture Guernica, de Pablo Picasso, a été inspirée par le film L’Adieu aux armes, de Frank Borzage. Quelle est l’importance de relire les classiques dans toutes leurs tendances artistiques ?

J. L. A. : Comme la peinture, la sculpture et le graphisme, le cinéma appartient à une culture qui n’est pas étudiée comme il se doit : la culture de l’image. Depuis les Egyptiens, au cours des vingt dernières années, elle a pris une importance incroyable : presque tous les Européens ont des photos sur leur téléphone. Une culture de l’image est née, dans un processus comparable au développement de la littérature après l’invention de l’imprimerie. Je pense qu’il est nécessaire d’élaborer une étude globale de l’image.