Le Cinéma nous rend-il meilleurs ? - de Stanley Cavell, Bayard, 15,90 euros.

Libération , 17 décembre 2003

La Lettre AFC n°128

En France, jusqu\’à Gilles Deleuze, le cinéma a souffert d\’une mésestimation par la philosophie. Aux Etats-Unis, la philosophie semble plus pragmatique. Pour preuve \" Le Cinéma nous rend-il meilleurs ? \", l\’ouvrage de Stanley Cavell, grande figure de la philosophie américaine, qui trouve tout naturel de regarder \" New York-Miami \" (Frank Capra, 1934) comme une illustration de la censure de la connaissance chez Kant, de considérer la physionomie de Buster Keaton comme une explication des spéculations de Heidegger, ou de démontrer qu\’un plan de \" Cette sacrée vérité \" (Leo McCarey, 1937) résume la philosophie de Thoreau et de Nietzsche...
Les analyses de Cavell irradient quand elles exposent leur objet principal : la comédie du remariage dans le cinéma hollywoodien des années 30 à 50. Aussi bien dans \" Philadelphia Story \" (Cukor, 1940), \" Lady Eve \" (Preston Sturges, 1941) ou \" Madame porte la culotte \" (Cukor, 1949), « des gens qui se sont déjà trouvés découvrent qu\’ils sont vraiment faits l\’un pour l\’autre ». Et de montrer que cette trame relève de la comédie romanesque shakespearienne et qu\’il y a dans ce cinéma autant de poésie que dans les vers de Songes d\’une nuit d\’été.
Ces études du couple hollywoodien dans la position du remariage ne sont ni une mystique du \" lien sacré \" ni une apologie de l\’institution conjugale. Bien au contraire. Quand Cavell parle de se défaire du scepticisme ambiant comme figure ultime du nihilisme, toutes les institutions se retrouvent sur la sellette. Ce souci de soi, au sens de Foucault, exige une « aversion pour l\’exigence de conformité » et d\’« être en contradiction avec aujourd\’hui ». Pourquoi ces bons films intempestifs nous rendent-ils meilleurs ? Parce qu\’ils parviennent « à préserver notre foi dans nos désirs d\’un monde éclairé, face aux compromis que nous passons avec la manière dont le monde existe ». Parce qu\’ils suggèrent qu\’il existe une autre manière d\’établir la communication que se rouer de coups, bref, qu\’« on peut découvrir une communauté spirituelle et charnelle que véhicule une conversation où on échange mots d\’esprit, compréhension, pardon et passion ». (Gérard Lefort)