Les derniers cadeaux d’Andrée Davanture

La Lettre AFC n°246

Pour évoquer le souvenir de la chef monteuse Andrée Davanture récemment disparue, Jenny Frenck, chef monteuse, témoigne.
« Ma rencontre avec Andrée Davanture a été l’une des plus importante de ma vie professionnelle. Dédée pour moi, c’est " Atria ". 16, boulevard Jules-Ferry, au-dessus des Tapis d’Orient. Un lieu devenu mythique qu’avait créé Dédée pour faire exister le cinéma d’Ailleurs, qui était toute sa passion. »
Sophie Guéroult, Andrée Davanture, Jenny Frenck et Izza Gémini en 1997
Sophie Guéroult, Andrée Davanture, Jenny Frenck et Izza Gémini en 1997

En 1984, j’ai décroché mon premier stage de montage à Atria sur un film underground d’Yvan Lagrange, Little Babylone. Dédée m’a proposé un contrat " emploi jeune " de l’époque pour deux ans, afin de l’assister sur ses montages et de m’occuper de la maintenance des salles louées.

Travailler auprès d’elle, c’était apprendre les couleurs, les langages et les idées du monde. Elle m’envoyait au labo voir des rushes muets de films africains, je réceptionnais des boîtes de copie travail, qu’il fallait nettoyer car elles étaient pleines de poussière d’Afrique. Les films étaient souvent montés dans leurs pays d’origine, mais le montage son et le mixage se faisaient toujours à Paris.
Il fallait accueillir les cinéastes et aussi les stagiaires africains, car elle voulait donner la possibilité et les moyens de formation à tous ces futurs techniciens.
Quand un cinéaste avait la chance d’avoir Dédée comme monteuse, on peut dire qu’il était gâté car elle savait transcender ses rushes.
Elle travaillait régulièrement avec un ou deux stagiaires derrière elle silencieux et concentrés, moi je passais les chutes en contournant les chaises et les chutiers… Sa capacité d’absorber les images et les sons, de mémoriser tous les éléments afin de faire jaillir le meilleur de tous ces matériaux, souvent inégaux et bourrés de défauts techniques, était impressionnante.

Les prix très raisonnables des locations de salles de montage attiraient de nombreux auteurs peu fortunés, qui délaissaient les endroits huppés de la capitale ou de Boulogne-Billancourt pour venir monter leurs films à Atria. J’y ai croisé des cinéastes connus et reconnus qui côtoyaient des débutants ainsi que des cinéastes en devenir, échangeant leurs idées devant le canapé, comme Gaston Kaboré, Djibrill Diop, Souleymane Cissé, Kitia Touré, Dikongué Pipa, Désiré Écaré, Abderrahmane Sissako, Fanta Régina Nacro, Idrissa Ouedraogo, Manoel de Oliveira, Renaud Victor, René Alliot, Christine Laurent, Roland Allard, Philippe Garrel, Amos Gitaï, René Vauthier, Jean-Pierre Limosin, Marie-Claude Treilhou, Luc Moulet, Claire Simon, Michèle Rosier, Rithy Panh, Jean-Claude Biette, Louis Skorecki, Serge Daney, Cédric Klapisch avec qui j’ai longuement travaillé plus tard.

Puis est arrivé le montage de Yeelen, de Souleymane Cissé, et c’est sur ce film que j’ai compris que le montage était avant tout fondé sur l’écoute, puis le dialogue afin de ne pas changer le sens des idées, avoir de la sensibilité, de la création et de la fantaisie.
Pendant la projection des rushes, Dédée me donnait des indications sur le jeu ou sur la technique que j’écrivais sur " le cahier de montage ". Avec ces notes et avec l’aide d’une traduction du bambara inscrite en phonétique, elle faisait son premier montage directement sur la table avec une précision à l’image près (elle ne montait jamais " aux marques "). Comme elle comprenait la musique de la langue, elle savait couper les phrases sans l’aide de Cissé qui n’était pas toujours présent.
On travaillait souvent le soir après la fermeture du standard téléphonique, car dans la journée, Dédée était toujours sollicitée par beaucoup de monde qui désirait lui parler, lui demander un renseignement et à qui elle répondait sans relâche avec cette qualité d’écoute qui semblait un peu flottante mais qui était bien présente, car elle était aussi capable de suivre plusieurs conversations à la fois.
Le montage de Yeelen s’est poursuivi pendant plus d’un an avec quelques interruptions, c’est un film magique qui a galvanisé toute la petite équipe de permanents d’Atria.

Elle m’a fait deux derniers cadeaux avant de partir : l’année dernière, en travaillant au montage d’une comédie ivoirienne, ce qui m’a permis d’être avec elle tous les jours pendant un mois merveilleux et ma dernière image en l’accompagnant à la projection de La Fête sauvage, de Frédérique Rossif, à la Cinémathèque une semaine avant son décès. La soirée fut magique tout comme le film de Souleymane Cissé.

Jenny Frenck