Les directeurs photo publient leur charte de l’image
par Lionel OllierL’Association française des directeurs de la photographie cinématographique (AFC) s’est réunie lundi 14 novembre à la Fémis pour lancer sa Charte de l’image.
Un public très nombreux était rassemblé dans la salle de projection de l’école, avec sur scène des intervenants de renom : Pierre Lhomme, directeur de la photo ; Philippe Schwartz, directeur de production ; Benoît Jacquot, réalisateur ; Luc Barnier, chef monteur ; Françoise Piraud, directrice de postproduction et Éric Guichard, directeur photo et président de l’AFC. Le débat était animé par le journaliste Antoine Guillot. L’idée directrice était : comment préserver l’intégralité de l’oeuvre cinématographique telle que voulue par le réalisateur ?
Matérialisée par un livret bleu de vingt pages, la charte a pour objectif « d’appuyer le réalisateur dans son travail de création et de donne (aux directeurs photo, Ndlr) les moyens de défendre l’intégrité de l’oeuvre dans tous ses aspects visuels, par respect tant pour le public que pour les auteurs. » La charte précise également qu’il doit « permettre, en concertation avec le producteur, la recherche et la mise en oeuvre des moyens nécessaires et compatibles avec l’économie du projet ». Le document rappelle la définition de la fonction au CNC : le directeur photo est le responsable de la qualité artistique et technique de l’image du film. La charte détaille toutes ses responsabilités, notamment dans la gestion de la lumière, l’enregistrement des images, les essais techniques, le suivi des rushes, la constitution des équipes... avec le réalisateur et le producteur.
Mutation technologique et métiers
De toute évidence, les mutations technologiques, l’arrivée de nouveaux équipements et les conditions de travail modifiées font que certains directeurs de la photo s’interrogent. L’AFC a donc remis noir sur blanc les fondamentaux du métier, avec en ligne de mire le respect de l’œuvre cinématographique.
Dès sa première intervention, le réalisateur Benoît Jacquot a déconcerté l’auditoire en demandant contre qui cette charte était écrite ? Dès lors, plutôt que de discours théoriques, une discussion s’est très vite engagée avec la salle où se trouvaient des directeurs de la photo, des cadreurs, des représentants de laboratoires, des postproducteurs, des fabricants de caméras, etc. Pierre Lhomme soulignait des conditions de tournage et de production qui se dégradent. Et dénonçait la disparition de certaines étapes clefs comme le visionnage des rushes sur grand écran : « La projection des rushes est un moment crucial qui permet de souder une équipe de tournage, et d’adapter son travail en fonction des images visualisées », explique-t-il. « La première semaine ne sert que de rodage à l’équipe.Plus on avance dans le tournage, plus on ose. On ne peut pas oser si l’on ne visionne pas, en grand, le résultat de son travail. »
Une discussion a alors été engagée dans la salle, certains fustigeant le DVD pour visionner les rushes, d’autres soulignant le côté pratique du support. Beaucoup regrettant l’absence de tirage et de projection de rushes durant le tournage.
L’augmentation de la charge de travail pour les directeurs photo a été largement abordée avec, pointées du doigt, des journées de 13-14 heures qui englobent de plus en plus les séances d’étalonnage. D’où l’idée d’un nouveau métier, celui d’assistant du directeur photo, qui permettrait à ce dernier de se décharger, notamment lors de l’étalonnage. « J’ai décroché de ce métier, parce que le virus venu des États-Unis, qui consistait à travailler des journées interminables, vous use prématurément. Cela vous enlève le goût de votre travail », rajoutait Pierre Lhomme. « J’ai arrêté parce qu’au bout de 12 heures de travail, cela ne m’intéresse plus de faire du cinéma. Devant ce constat, il faut que les équipes de prise de vues se réorganisent. » La perte de contrôle du directeur photo sur l’image de son film, face à la diversité galopante des moyens de diffusion (Internet, téléphone portable, DVD, TNT, etc.) « sans que le directeur photo n’ait son mot à dire » a également été abordée. Des films pour le grand écran, créés de plus en plus devant un petit écran : au tournage devant un combo, au montage et à l’étalonnage devant des moniteurs, lors du pressage des DVD...
La charte de l’image survient à point nommé face aux nombreuses questions de la profession. Les métiers évoluent, les responsabilités sont modifiées, et les territoires de compétences plus ambigus. Les directeurs photo sont de plus en plus présents dans les régies d’étalonnage. Et au sein de l’assistance, une voix de s’interroger : « Et si c’était plutôt à l’étalonneur de se déplacer sur le tournage ? » Le débat reste ouvert.
(Lionel Ollier, Sonovision Broadcast n°502, décembre 2005)