Où Pascal Marti, AFC, parle de son travail sur "Frantz", de François Ozon
Cette récompense vient saluer une image qui propose un mariage subtil de noir et blanc et de couleur sur fond de pellicule argentique. Se démarquant de la proposition moderne du noir et blanc, Pascal Marti revient sur les étapes de fabrication, sur les choix radicaux et sur le lien indéfectible entre narration et mise en image. (BB)
La préparation
François Ozon est déterminé dans ses idées, cela simplifie grandement la fabrication d’un film. Bien sûr, les doutes sont là, surtout en repérage et dans le choix des décors. J’aiguille François, je souligne la complexité d’un décor d’un point de vue de production et de mise en image car j’aime quand tout le monde marche d’un même pas.
Le film est passé en noir et blanc trois semaines avant le tournage pour des raisons de récit et d’esthétique. Les repérages en Allemagne ne nous donnaient pas satisfaction notamment au niveau des façades dont la couleur ne correspondait pas à l’époque du film.
Le noir et blanc permettait d’abstraire ces couleurs trop vives et de baisser les coûts de production. Les costumes, dont les couleurs sourdes étaient prévues pour un film en couleur, ont dû être adaptés pour le noir et blanc. Pascaline Chavanne, la costumière, a ajouté des broderies pour y apporter de la brillance. Quant au décor, Michel Barthelemy, le chef décorateur, a décliné une gamme de gris pour les intérieurs, permettant ainsi de faire exister le noir et blanc.
Faire un film en noir et blanc, c’est comme raconter une histoire qui commence par « Il était une fois ». Le premier plan de Frantz propose une image de conte avec une branche de cerisier en fleur en avant-plan.
Les références visuelles et thématiques
François Ozon me propose le scénario bien avant qu’il ne soit finalisé. J’ai ainsi très en amont le parfum de ce que sera le film. Nous abordons à cette étape la thématique, le fond du film avant de parler de comment nous allons le raconter. Une fois le thème établit, une logique visuelle pour le film apparaît.
François est un cinéphile, il a énormément de références liées à l’histoire du cinéma. Les références pour Frantz ont été assez évidentes ; il y en a eu deux. Les Sentiers de la gloire, de Kubrick, parce que c’est un film proche de cette époque même si Frantz se place après la guerre de 14-18. Dans ce film, ce que l’on pouvait retenir de la lumière, c’était les contre-jours, les personnages devant les fenêtres, notamment dans la séquence du jugement.
Ces soldats face à la lumière, totalement éblouis car sortant de leur cachot, ne pouvaient pas voir qui les jugeaient car les juges sont complètement à contre-jour. Ce jeu dramatique grâce à la lumière est vraiment intéressant. Il y a dans Frantz des séquences se rapprochant de cette situation et j’avais envie de m’inspirer des Sentiers de la gloire pour celles-ci.
Un autre film en noir et blanc m’impressionne beaucoup, Le Plus sauvage d’entre tous (Hud), de Martin Ritt (1963, Oscar de la meilleure photographie catégorie noir et blanc pour James Wong Howe). C’est un noir et blanc moderne, soyeux, avec des sources très maîtrisées et qui marque le noir et blanc des années 1950-60. Ces deux références ont été pour moi des sources d’inspiration plus que des indications à reproduire.
Deux autres références visuelles et thématiques ont comptées pour Frantz. Les tableaux de Caspard David Friedrich pour la thématique du romantisme plus que pour une référence visuelle et le peintre Vilhelm Hammershoi. Ce peintre danois associe le noir et blanc et la couleur de manière incroyable ; selon moi, sa peinture a quelque chose de protestant, c’est simple et dépouillé, avec du noir dans la couleur. Avant de basculer complètement vers le noir et blanc, nous avions pensé à ce mélange de couleur et de noir et blanc pour Frantz.
Quand la couleur prend le contre-pied des codes du flash-back
Ici, c’est le présent qui est en noir et blanc et le souvenir ou le fantasme qui est en couleur. Il a fallu trouver une transition entre le noir et blanc et la couleur, il n’était pas question de passer à de la couleur totalement franche. Nous avons travaillé la désaturation pour tenter de retrouver quelque chose du souvenir, que cette couleur ne soit pas trop réaliste.
Les flashs-back sont traités de manière différente, certains ont plus de couleurs que d’autres, certains sont plus froids ou plus chauds.
Cette transition dans le tunnel rocheux, lorsqu’ils se promènent dans la très romantique nature allemande est magique…
Oui, Anna est en train de passer d’une vie à une autre, de ce jeune homme qu’elle a perdu à l’amour naissant pour ce Français. C’est un franchissement.
Tourner sur pellicule et faire des choix pour le support
Nous avons tourné en 35 mm sur un négatif couleur. Lorsque la décision du noir et blanc a été prise, la question de la possibilité de revenir à la couleur après le tournage m’a été posée. J’ai dû répondre que cela ne serait pas possible car ce négatif couleur serait travaillé comme un négatif noir et blanc.
Ce film allait être plus éclairé, avec des directions de lumières plus affirmées qu’un film en couleur, pour obtenir des visages bien blancs. En noir et blanc, il faut accentuer la lumière alors qu’en couleur, on a tendance à la dissoudre.
D’autre part, j’ai travaillé la pellicule comme du noir et blanc avec des filtres jaune, vert et rouge. En fait, la pellicule couleur a une base argentique, sur laquelle on ajoute les couches couleurs. On peut donc tout à fait la travailler comme une pellicule noir et blanc. François Ozon souhaitait jouer la carte du noir et blanc et finalement les producteurs ont accepté ce parti pris. Evidemment, nous avons tourné les parties en couleur avec la même pellicule, donc dans les conditions normales de la couleur. Ce n’était pas facile pour Ozon au cadre d’avoir parfois une image toute rouge ou toute jaune ou toute verte !
Parlons justement du cadre, qui accompagne si bien ce scénario !
François cadre tous ses films. Il a son film entièrement dans la tête, connaît tous les plans et la quasi totalité de ces plans sont montés. Lors de notre première collaboration, il m’a expliqué qu’il ne pouvait voir le jeu des acteurs que dans la caméra. En fait, il voit tout dans l’œilleton !
Il travaille avec un zoom, en l’occurrence sur Frantz avec un 19-90 de chez Panavision. En général, il fait le plan large et puis il ressert au 90 mm pour tourner le plan serré. Et c’est là où le relationnel doit être géré avec délicatesse (rires). Mais il comprend très bien qu’il faut me laisser cinq minutes pour éclairer le gros plan. Et que c’est dans l’intérêt de tous !
Je n’avais jamais remarqué avant ce film à quel point le noir et blanc permet de mieux voir le cadre, de le magnifier.
Comment éclairer pour le noir et blanc
J’ai ressorti des projecteurs devenus un peu archaïques, comme des Cremer, des Softlight, du directionnel avec des Fresnel. L’installation électrique était importante dans l’appartement de la famille allemande.
Les extérieurs ne sont pas rééclairés, même si parfois j’aurais aimé avoir un gros HMI en réflexion sur une toile. Mais nous n’en n’avions pas les moyens.
Nous avons dû gérer un gros travail de raccords lumière à cause des dates de tournage très précises de Pierre Niney. Il nous a fallu tourner toutes les scènes avec lui en Allemagne et en France puis revenir dans le décor en Allemagne pour finir de tourner les scènes sans lui.
Un noir et blanc peu contrasté
La première proposition d’étalonnage était plus contraste mais François a trouvé l’image trop moderne, il la voulait plus grise. Il est vrai que le noir et blanc actuel est très contrasté, celui du film Le Plus sauvage d’entre tous, par exemple, est plutôt gris, à l’instar des films de cette époque.
Frantz est une belle proposition pour un directeur de la photographie !
Oui, et une telle proposition est rare ! Elle sonne comme un cadeau…
(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)
- Voir quelques images du tournage prises par le photographe de plateau Jean-Claude Moireau, PFA.
Dans le portfolio ci-dessous, quelques références visuelles et photogrammes de Frantz, suivis de photos de James Wong Howe pendant le tournage de Hud, de Martin Ritt, et avec son Oscar, en 1964, en compagnie de Leon Shamroy.