Que le film et le format numérique coexistent !

Des propos de Robbie Ryan, BSC

Dans une série de onze entretiens recueillis à Plus Camerimage 2011 par la journaliste britannique Madelyn Most, des directeurs de la photographie font part de leurs réactions concernant l’impact des technologies numériques sur leurs responsabilités et leur travail au quotidien. Nous publions ici la traduction en français des propos du DP irlandais Robbie Ryan, BSC.

Le passage au numérique a lieu beaucoup plus vite que nous l’avions imaginé.
J’espérais que le film aurait pu coexister avec le numérique mais les infrastructures sont tellement endommagées que même cette coexistence est menacée. Les laboratoires ne peuvent plus survivre car ils n’ont plus de films à tirer en vue d’être projetés. La projection numérique prend le dessus.
L’image 35 mm projetée en film, le mouvement de l’image, le piqué, la densité, sont magnifiques. Personnellement je n’ai pas le même plaisir avec l’image numérique. Des mots comme émotion, profondeur, texture, il est difficile de mettre le doigt dessus ou de décrire objectivement ou techniquement ce que vous percevez. Pour beaucoup de gens, c’est de l’ordre de l’inconscient. C’est le charme de la chimie magique des choses se mariant ensemble qui crée ce si beau rendu.

Je choisis toujours des pellicules plutôt lentes, avec un grain assez fin, et je sais comment elles vont se comporter dans les noirs et les hautes lumières. J’aurais tendance à utiliser une 500 ISO dans des situations de faible éclairement, sachant qu’elle ne sera pas trop granuleuse mais que les noirs seront conservés, et que je pourrai tourner en obtenant des noirs plus profonds, la densité du négatif gardant les noirs.
Pour tourner avec une caméra numérique, il faut travailler à 800 ISO et je n’ai jamais de ma vie tourné à 800 ISO – avec cette " puce " très sensible, on gagne tellement dans les détails, il y a tant à capter. Mais le numérique ne permet pas d’obtenir pas de noirs, il voit à travers les noirs. C’est ce qu’ils disent en postproduction, vous ne pouvez pas redonner du contraste en postprod, effectuer tout ce travail, et bénéficier des détails dans les noirs tout en sachant que vous allez garder ce contraste.

Bon, se retrouver dans une situation où certaines personnes vous avisent que vous pouvez vous débrouiller avec vos images les plus denses et les plus claires en les gardant à un certain niveau (en les densifiant ou les éclarcissant) sans perdre aucun détail, ça ME REND FOU ! Je n’aime pas ça.
Mon style est beaucoup plus organique, naturel – j’aime capter le naturalisme dans la vie de tous les jours. Mon arme secrète, c’est un certain savoir que la pellicule 35 mm ou même16 mm traduira dans le sens du rendu que je veux obtenir, avec du grain certes, mais j’aime cette texture. Je sais ce que la pellicule fera pour moi et j’aime ça.
Lorsque je regarde sur le moniteur de ma caméra numérique HD, je sais à quoi cela va plus ou moins ressembler et ça me met en pétard. Je préfère ne pas savoir à quoi ça va ressembler et puis étalonner plus tard. Dans mon esprit, je sais exactement ce que cela va donner sur la pellicule, et personne d’autre ne le sait, ce qui est un avantage. Malheureusement, il va falloir se coller au boulot et faire en sorte qu’elle dure encore mais je souhaiterais vraiment que le film puisse coexister avec le format numérique.

(Merci à Jeanine Zimmerli et Jean-Noël Ferragut pour cette traduction de l’anglais)