Camerimage 2023
Regard sur la remise des récompenses des FilmLight Colour Awards
Par Margot CavretPour cette édition, plus de quatre-cent œuvres, originaires de quarante-cinq pays différents, ont été soumises au regard des jurés. Les vainqueurs sont :
- Dans la catégorie Publicités, Tim Masick pour "Zara Man SS23 Studio Collection", photographié par Philippe Le Sourd, AFC, ASC.
- Dans la catégorie Vidéo-clip, Marina Starke pour "Horra", du groupe Mayyas, photographié par Shadi Chaaban
- Dans la catégorie Spotlight (dédiée aux films à petit budget), Cem Ozkillicci pour Possession, photographié par Oskar Dahlsbakken, FNF
- Dans la catégorie Séries, Dirk Meier pour "The Pimp : no F**king Fairytale", photographié par Tim Kuhn
- Dans la catégorie Long métrage, le Français Yvan Lucas pour Barbie, photographié par Rodrigo Prieto, AMC, ASC.
Aucun n’a manqué de souligner le talent des directeurs de la photographie, ni de remercier Camerimage et le FilmLight Colour Awards de mettre en valeur l’étalonnage et son implication artistique. Absent, le Français Yvan Lucas concluait sa vidéo de remerciements ainsi : « Merci, et maintenant, je retourne dans l’ombre ! ».
Une table ronde a suivi la remise des prix, où chacun a pu développer les spécificités d’étalonnage qui ont été explorées, en s’appuyant sur une riche iconographie présentée simultanément à l’écran, permettant de découvrir les images avant et après étalonnage.
Cem Ozkillicci explique que Possession est un film prenant place lors de la pandémie de grippe espagnole en 1918. Leur référence visuelle principale était There Will Be Blood, de Paul Thomas Anderson, photographié par Robert Elswit, ASC.
Cependant, il a vite été évident que les paysages baignés du soleil californien du western de référence étaient bien loin de la lumière norvégienne dans laquelle a été tourné Possession. L’étalonneur a alors apporté des références de peintures romantiques, et l’étalonnage du film a consisté en un mariage entre les couleurs de ces tableaux et la texture de There Will Be Blood. La très belle direction artistique du film sur laquelle repose son travail a également été saluée : « Avec peu de budget, et un tournage en décor réel, les départements des costumes, du maquillage, de la décoration et de l’image ont réussi à trouver une ambiance visuelle extraordinairement convaincante. »
La coloriste Marina Starke, nommée pour trois projets, a quant à elle évoqué son travail sur le clip singulier qu’est "Horra". Puisque la metteuse en scène et scénariste venait du spectacle vivant, le travail du directeur de la photographe sur le plateau a été réduit autant que possible pour laisser de la place aux danseurs et danseuses, et une grande partie de la recherche esthétique a été effectuée à l’étalonnage. Marina Starke raconte et montre à l’écran la complexité de certaines scènes, notamment celle où les artistes sont vêtues de toute sortes de vêtements et bijoux dorés. Un travail minutieux a dû être effectué, pour isoler les peaux et faire ressortir les brillances de l’or sans affecter les tons chair.
Chaque scène est un tableau dansé marqué par une forte intention de costumes et de décor : « J’essayais de donner une cohérence visuelle à chaque chapitre, et de les distinguer le plus clairement possible les uns des autres, également pour rafraîchir le regard, que l’œil du spectateur ne s’habitue pas à une colorimétrie particulière tout au long du clip. »
Lors de la pésentation vidéo du chef opérateur introduisant le travail de Dirk Meier sur "The Pimp : no F**king Fairytale", Tim Kuhn insiste sur l’importance de la collaboration avec l’étalonneur pour le directeur de la photographie, et précise que l’arrivée de Dirk Meier dès la préparation de la série a été un grand avantage pour tous les départements qui ont pu savoir très tôt quelle allait être l’intention visuelle, et participer à son élaboration.
L’étalonneur précise que son travail n’a pas été qu’une retouche des densités et de la colorimétrie, mais également un travail sur la texture et les effets d’objectifs, tels que des distorsions qui ont pu être ajoutées ou renforcées.
Mandy Walker, ASC, a été invitée à prendre la parole pour parler de Barbie, de Greta Gerwig. En effet, celle-ci a remplacé Rodrigo Prieto, AMC, ASC, parti tourner son propre film, Pedro Páramo, pour la fin du tournage et l’étalonnage du DI. Son témoignage est complété par une brève interview vidéo d’Yvan Lucas.
Celui-ci a notamment réalisé une LUT baptisée "TechnoBarbie", utilisée pour toutes les séquences se déroulant à BarbieLand. Le but de cette LUT était de rendre très vives les couleurs, notamment le rose et le bleu turquoise, et de les tirer au plus proche de ce qu’on pouvait retrouver dans les emballages des jouets Barbie. Cependant, le grand défi de la création de cette LUT a été de maintenir les teintes chair.
Pour ce faire, l’étalonneur a demandé au développeur Philippe Panzini de créer le plug-in "PPL" (pour Prieto, Panzini, Lucas) pour Baselight, permettant de modifier chaque couleur sans modifier les autres. « C’était amusant », confie-t-il à la fin de la vidéo, « il n’y avait jamais assez de rose dans le film ! C’était très enthousiasmant de faire un film dans lequel la couleur est si centrale. Pour la première fois, j’ai eu l’impression qu’on parlait de la couleur et de l’histoire en même temps. »
Enfin, dans la catégorie Publicités, Tim Masick a de nouveau salué les très belles images que lui a confié le directeur de la photographie Philippe Le Sourd, AFC, ASC, avec lequel il travaille depuis plus de vingt ans : « Son approche et son esthétique ont forgé ma façon de travailler et de voir les choses. »
Pour ces images, la grande difficulté était d’enrichir les franches teintes orange et rouges de la fumée, sans nuire ni aux peaux, ni aux vêtements qui sont l’objet de la publicité.
La rencontre s’est poursuivie par une discussion plus ouverte entre les étalonneurs présents, Mandy Walker, Lawrence Sher et le public. Le passé et l’avenir se sont croisés dans cette discussion où les questions de restauration et d’intelligence artificielle ont été évoquées. Sur ce dernier point, les étalonneurs primés se sont montrés plus enthousiastes qu’inquiets. Selon Cem Ozkillicci : « Il y aura toujours besoin d’un regard sur les images pour chercher à créer des choses nouvelles, et traduire en images les émotions que cherche le réalisateur. Les IA sont cantonnées à un style, une imitation. Avant d’en arriver à un étalonnage entièrement effectué par une IA, il y a encore beaucoup de choses à améliorer. Ça pourrait commencer par une simplification de tout le travail préparatoire, les conformations de timeline et la calibration, qui précèdent le travail artistique avec le chef opérateur. Le problème, c’est qu’avec la progression des technologies, il y a de moins en moins d’assistants étalonneurs qui apprennent le travail pour être la prochaine génération... »
(Compte rendu rédigé par Margot Cavret pour l’AFC)