Rencontre avec Howard Preston, fondateur de la société Preston Cinema Systems

Par François Reumont et Jacques Delacoux (Transvideo)

par Transvideo La Lettre AFC n°230

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Howard Preston est le fondateur de la société éponyme, qui fabrique notamment les systèmes de contrôle de mise au point HF les plus utilisés au monde sur les plateaux de cinéma. Sa présence au 13e Micro Salon a été l’occasion d’une discussion animée par un autre industriel vedette du secteur : Jacques Delacoux, PDG de Transvideo.
Howard Preston sur le stand Loumasystems au Micro Salon 2013 - Photo JN Ferragut - AFC
Howard Preston sur le stand Loumasystems au Micro Salon 2013
Photo JN Ferragut - AFC

Jacques Delacoux : Preston est désormais un nom mythique dans l’univers de la prise de vues cinématographique : on peut dire que c’est presque aussi courant que la marque " Frigidaire " pour les réfrigérateurs ! Comment en êtes-vous arrivé là ?

Howard Preston : À vrai dire, je ne suis pas issu du milieu du cinéma. Mes études et mon apprentissage se sont effectués dans le domaine de la physique. Naturellement, comme beaucoup d’autres garçons de mon âge, j’avais aussi des passions, comme la photographie, et aussi le cinéma. Il se trouve que par le biais de mon beau-frère, je me suis retrouvé en contact avec un producteur.
A l’époque de mon diplôme de physique, je me souviens d’un documentaire passionnant de la BBC, The Ascent of Man, qui racontait comment les évolutions de la science, des techniques et de l’art se sont influencées mutuellement pour aboutir à la culture moderne. Ça m’a donné l’envie d’écrire et de réaliser moi-même un documentaire sur la cosmologie et sur le phénomène du big-bang. Un tout petit budget sur lequel j’ai dû moi-même beaucoup mettre au point de prototypes et de ruses filmiques pour arriver à mes fins ! Ce petit film a fait quelques festivals et a eu son propre succès d’estime... mais surtout il m’a permis d’être remarqué par le producteur du remake de Invasion of the Body Snatchers, dirigé à l’époque par Philip Kaufman.
Ils m’ont engagé après le tournage principal pour réaliser une sorte de pré-séquence d’effets spéciaux qui se passait dans l’espace et qui permettait de voir comment les aliens débarquaient sur terre. Star Wars venait de casser la baraque au box-office, et comme il se doit les producteurs pensaient qu’ouvrir le film dans l’espace serait la clé du succès ! On m’a notamment demandé de ramener un plan représentant le point de vue des extraterrestres depuis leur engin volant... Pour ça je devais filmer depuis un avion à haute altitude un lent zoom avant plongeant sur San Francisco.
Équipé d’un moteur de zoom Cinema Product (le seul disponible à l’époque), je n’arrivais pas à effectuer un zoom avant vraiment fluide sur l’intégralité de la course du zoom de rapport 20. Cela principalement parce que ce moteur n’était pas très précis ni très bien ajusté. J’étais tellement frustré, lors du premier vol, de ne pas être arrivé à ramener le plan que j’ai décidé de créer moi-même mon propre système. C’est à cette occasion qu’est née la poignée Micro Force et le moteur qui va avec.

 François Reumont : Comment analysez-vous le succès de votre invention ? 

HP : À l’époque, l’électronique n’était pas vraiment utilisée comme maintenant dans les caméras ou dans la machinerie... A part Cinema Product qui avait commencé à développer certains produits, il n’y avait pas vraiment de concurrence dans ce domaine. Je me souviens très bien être rentré chez Otto Nemetz (un des loueurs historiques de matériel de tournage à Hollywood) et lui avoir présenté le prototype de mon système Micro Force. En me montrant une caisse remplie de commandes Cinema Product qui étaient en réparation, il m’a dit : « Si tu es capable de me fournir un système qui marche et qui ne tombe pas en panne, je te garantis que je t’en commande tout de suite une vingtaine ! » Et c’est ce qui s’est passé, Otto est devenu mon premier client. Cette anecdote pour vous dire que la robustesse et la précision ont été les priorités principales de développement du produit. En outre, comme j’étais à l’époque tout seul à fabriquer et à mettre au point les commandes et les moteurs, c’était très important de limiter au maximum le SAV.

 FR : Parlez-nous de vos inventions suivantes...

HP : J’ai mis au point le premier boîtier électronique qui permettait un asservissement entre un changement de cadence à la caméra et une variation de l’ouverture sur l’optique. Un système qui m’a été commandé a l’occasion d’un autre documentaire scientifique sur la vitesse de la lumière. Ce boîtier est devenu ensuite le Speed Aperture Computer, lauréat de mon premier Oscar technique de la part de l’Académie. L’autre invention dont je suis particulièrement fier, bien qu’il n’ait pas été à proprement parler un succès commercial, c’est le Light Ranger.

FR : Qu’est-ce que ce système ?

HP : C’est le premier système laser de mise au point automatique asservi par moteur à l’optique pour la prise de vues cinéma. Nous avons énormément travaillé sur ce projet pour parvenir à un outil suffisamment précis (1cm) tout en gardant une portée suffisante (150 m). Un vrai challenge technique qui a été reconnu par le milieu des opérateurs, mais pour lequel les producteurs ont rechigné à payer, considérant qu’un bon pointeur n’a pas besoin d’un tel outil pour lui mâcher le travail !
Néanmoins les moteurs développés sur le projet Light Ranger nous ont ensuite permis de fabriquer le système FIZ radiocommandé, qui lui a été un immense succès depuis son introduction au milieu des années 1990, notamment grâce à Mark O Kane qui a été l’un des premiers à le tester sur le film Waterworld de Kevin Reynolds.

 JD : Vos produits ne font pas recours à la traditionnelle anodisation qu’on rencontre très souvent sur les accessoires caméras... Pouvez-vous un peu expliquer ce choix ? 

HP : Comme le Steadicam est très rapidement devenu l’un de nos marchés principaux, on a été forcé de trouver un moyen d’alléger de plus en plus le matériel. Une des conséquences a été de se diriger vers le magnésium pour construire léger et solide. Mais le magnésium a un inconvénient majeur, celui d’être sensible à la corrosion par l’eau de mer. Comme on ne peut pas le protéger par anodisation comme avec le métal traditionnel, on a dû trouver un revêtement particulier. J’ai entendu parler d’une société allemande qui avait inventé un revêtement en céramique qui le rend vraiment très résistant, c’est pour ça que nos moteurs sont blancs dans certaines parties. Ce détail rejoint exactement la philosophie que j’ai développée dès le départ, à savoir construire pour durer et surtout ne jamais se retrouver battu sur un plan à cause d’une panne de matériel.
Bien sûr la solidité de la carapace ne doit pas faire oublier ce qui se passe à l’intérieur de la machine...
Pour les moteurs, par exemple, d’énormes contingences techniques doivent être remplies, que ce soit pour le couple, la précision (avec une tolérance nulle de jeu entre les pignons), et la résistance à l’usure. Pour toutes ces raisons, on utilise des pignons recouverts d’un vernis protecteur qui est presque analogue à la solidité d’un diamant. Quelqu’un qui investit dans nos moteurs est presque sûr de les garder toute sa vie professionnelle sans aucun entretien, à part peut-être les roulements à billes internes qui peuvent un peu s’user au bout de nombreuses heures d’utilisation.

 JD : Je suis aussi toujours très impressionné par la qualité des câbles et de la connectique que vous proposez... 

HP : L’enjeu de la qualité des câbles s’est posé dès le début de la poignée Micro Force. En rendant visite aux loueurs de caméras, je me suis très vite aperçu que la majorité des pannes provient des câbles ou des prises. C’est pour cette raison qu’on a décidé de créer et fabriquer nous-mêmes nos propres produits. Pour la gaine par exemple, on utilise du polyuréthane, qui est très difficile à couper qui protège très bien les câbles intérieurs. Pour les câbles eux-mêmes, tout est fait en cuivre très fin, ce qui permet de conserver une certaine souplesse, malgré le nombre de conducteurs. À vrai dire, pour chaque produit Preston, on fait fabriquer un câble dédié.

 JD : Pouvez vous nous expliquez la raison de l’excellence de vos systèmes radiocommandés, et notamment leur invulnérabilité aux interférences ? 

HP : A ma connaissance, nous sommes le seul fabricant qui a développé ses propres émetteurs récepteurs sans se baser sur une technologie tierce partie ou largement diffusée (comme celle du Wifi). Cet aspect nous a permis de contrôler au mieux les fréquences sur lesquelles nous travaillons, de coder le signal transmis à chaque canal, de façon à éliminer quasiment tout risque d’interférence à l’échelle même de la bande d’émission. Il faut savoir que transmettre un signal data pour les moteurs FIZ nécessite finalement assez peu de bande passante sur chaque canal, ce qui est exactement l’inverse quand on utilise le Wifi, c’est-à-dire une bande passante extrêmement et inutilement large...

 JD : Votre présence dans les salons internationaux est assez rare... Pourquoi choisir le Micro Salon et la France cette année ? 

HP : J’ai toujours eu un faible pour le cinéma français. Dès mes débuts, à la fin des années 1960, j’adorais les grands réalisateurs comme Jean-Luc Godard ou Marcel Carné. Mais au-delà de l’aspect purement cinéphilique, je constate chaque année que le Micro Salon est un lieu vraiment unique pour son côté intime à l’intérieur de la profession. On peut facilement y rencontrer les opérateurs, discuter avec eux en toute franchise, chose qui n’est pas facile dans les autres salons où je croise finalement assez peu d’opérateurs mais beaucoup plus de fabricants ou de techniciens de l’image.
C’est pour moi une vraie opportunité est un plaisir de pouvoir rencontrer ces directeurs de la photo et d’écouter leurs conseils ou leurs demandes...

 FR : Panavision a récemment annoncé la sortie prochaine d’une caméra numérique de nouvelle génération équipée d’un capteur 70 mm et surtout d’une gamme d’optiques possédant ses propres moteurs internes... Est-ce une voie que vous aviez déjà considérée ? 

HP : On a été approché par deux fabricants d’optiques pour travailler sur un projet similaire. La limite qui se pose est celle de la taille du poids et de l’encombrement de chaque optique pour conserver néanmoins une mécanique suffisamment précise et rapide. Et pour le moment, je peux vous dire que ce n’est pas tout à fait résolu... Bien sûr j’attends de voir les futures optiques motorisées annoncées par Panavision, mais il me paraît évident qu’avec en plus une augmentation de la taille du capteur (et donc une réduction drastique de la profondeur de champ) la précision de la mise au point et sa rapidité sur une éventuelle bascule sera encore plus prépondérante !

À mon avis, si certains seront séduits par les optiques à motorisation interne pour certaines applications, beaucoup de gens resteront fidèles à la solution traditionnelle et modulaire de la motorisation externe. Un autre enjeu est celui de la course à la définition que ce sont lancés les fabricants de caméras numériques, et qui à terme aboutit à une question pour les chefs opérateurs : quoi faire de cette extraordinaire précision d’image ? S’il est vrai que pour les plans larges, une grande définition est souvent la bienvenue, quid des plans serrés sur les comédiens ? Le marché décidera en définitive de comment gérer situation, quelles optiques utiliser, quels accessoires pour transformer et s’approprier l’image ?

 JD : La situation économique et les relations avec les loueurs s’est considérablement modifiée depuis 10 ans. Ici... les gens hésitent de plus en plus à investir dans du matériel. Comment voyez-vous cette situation depuis Hollywood ? 

HP : Je vois la situation comme une sorte d’affrontement entre " l’ancien régime " et " les nouveaux venus ". En effet, les loueurs issus du matériel film traditionnel ont tous beaucoup de mal à suivre le rythme échevelé de sortie imposé par les nouvelles caméras de cinéma numérique. Et comme chaque client est toujours à la recherche de ce qui se fait de mieux ou en tout cas de ce qui est de plus récent en matière de technologie, forcément le mieux placé pour offrir le service est toujours celui qui propose la caméra ou l’accessoire qui n’existe par ailleurs. Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, ce phénomène se ressent entre ceux qui ont du mal à renouveler leur parc, et les nouveaux venus qui eux partent de rien et propose une gamme d’optiques et de caméras flambant neuves.

Je pense qu’il est encore quelques années d’incertitude et d’évolution sur le matériel, quelques années à tenir pour les loueurs qui tirent la langue face à ceux qui peuvent investir massivement et générer autant de profit. Un autre exemple : à Hollywood, l’un de nos plus gros clients est un loueur qui ne possède que des têtes télécommandées et des systèmes remote FIZ. C’est pour vous donner une idée que parfois la spécialisation peut tout à fait être un axe commercial valable. De même certains assistants ont investi massivement dans une dizaine d’unités FIZ et les louent eux-mêmes en plus de leur utilisation personnelle. Les mentalités sont très différentes d’ici où les techniciens ont des difficultés à louer leur propre matériel...

FR : Y a-t-il une invention, dans l’histoire du cinéma, dont vous seriez jaloux ? 

HP : Je ne peux pas dire que je sois jaloux de Garret Brown, vu que c’est quand même lui qui m’a ramené la plupart de mes clients ! Mais quand même ! Je me souviens très bien le voir avancer sur le tapis rouge avec son smoking et son bras Steadicam qui sortait du harnais... C’était vraiment cool ! Là, je dois dire que j’aurais vraiment aimé être à sa place !

(Propos recueillis par François Reumont et Jacques Delacoux à Paris le 24 février 2013)