Restitution du niveau du noir en projection numérique

par Matthieu Sintas et Julia Dubourg, CST

La Lettre AFC n°156

Tout d’abord il faut s’avoir que depuis les débuts de la vidéo numérique (norme CCIR 601 de 1981) une bande vidéo (à usage de la télévision) n’utilise jamais la pleine dynamique du signal. C’est-à-dire que sur 10 bits (1024 niveaux possibles du noir au blanc) on ne va pas mettre le noir à 0 et le blanc à 1023. La norme fixe le noir à la valeur 64 et le blanc à 930. La raison est spécifique à la télévision où le signal peu provenir d’un source analogique qui devra être filtrée. Ces contraintes créent des dépassements de niveau très brefs, mais porteurs d’informations, que l’on a souhaité autoriser. C’est pour cela qu’une « réserve » a été aménagée dans le signal. Cette réserve exclue tout de même les codes de 0 à 3 et 1020 à 1023 (toujours en 10 bits) qui sont réservés à la synchronisation. Lors de la rédaction de la norme HD (SMPTE 274M de 1995) le même choix a été fait avec exactement les mêmes valeurs. Et c’est là que la confusion commence. En effet le signal HD est utilisé bien au delà de la télévision, pour faire des masters pour le laboratoire, pour sauvegarder des restaurations numériques, pour faire de la projection numérique,... Dans toutes les utilisations autre que la télévision les contraintes sur les niveaux ne sont pas les mêmes.

Pour revenir à la projection numérique qui nous concerne il n’y a pas de norme qui définisse les niveaux à partir d’une bande HD. La norme sur le cinéma numérique est heureusement précise et sans ambiguïté sur le sujet mais le signal fait 2048 x 1080 (ou 4096 x 2160) sur 12 bits par primaire. Seul un serveur peut lire un tel signal qui, en 2K, est deux fois plus volumineux qu’un signal HD 4:2:2 10 bits. Donc nous n’avons aucune référence pour l’utilisation cinéma du signal HD. Il faut pour l’instant s’en référer à l’usage.

Du point de vue des constructeurs de caméras (Genesis, D20, Viper, F900, Varicam) certains utilisent la pleine gamme du signal et d’autre la gamme réduite. Il faut aussi bien sûr tenir compte de l’outil de projection, où la situation est plus simple : tous les projecteurs de cinéma numérique 2K (Barco, Christie, Nec, Cinemeccanica, Kinoton), en 4:4:4, calibrent les niveaux sur la pleine gamme du signal (noir à partir de 4 et blanc et à 1020). La raison en est simple, ils sont conçus pour fonctionner avec des serveurs qui utilisent la norme cinéma numérique et non pas des magnétoscopes. Hors, pour encore quelques mois, il y a des serveurs de cinéma numérique (appelé MXFinterop) qui utilisent le signal HD (1920 x 1080) 4:2:2 en attendant que tous les constructeurs aient des modèles en 2K (fin 2006). Ces serveurs, et les copies des films qu’ils contiennent traitent les niveaux avec la pleine dynamique et non pas la gamme réduite de la télévision.

C’est bien cette confusion qui est à l’origine du problème de la projection du 10 Avril comme le montre les histogrammes des images. Par ailleurs il n’existe rien de simple pour contrôler un signal 4:4:4. Les moniteurs HD sont généralement pourvus d’entrées 4:2:2 et ils sont réglés pour afficher du noir pour le code valeur 64 et non pas 4. Les oscilloscopes comme le WFM700 de Tektronix ne fonctionnent qu’en 4:2:2 et l’affichage en mode ligne est, lui aussi, calibré pour afficher le 0 Volt au code valeur 64.

Nous sommes donc actuellement dans une période de transition où l’utilisation de la HD 444 dans la projection cinéma numérique pose de nombreuses questions relatives au fonctionnement des projecteurs, des outils pour contrôler efficacement les images et d’adaptation des process de post production par rapport à ce nouvel outil de diffusion.

Cela ne remet évidemment pas en cause la qualité du travail effectué en postproduction sur les images d’IDIFF, une répétition qu’il n’a pas été possible d’effectuer aurait permis de détecter ce problème d’affichage avant la projection.

Mieux comprendre ces difficultés pour en informer la profession sera à l’évidence un des rôles de la CST dans les mois à venir.

Ci-dessous une image de la Genesis après étalonnage et son histogramme, les niveaux sont compris entre 60 et 725.

Image prise lors d'Idiff 2006 et son histogramme (ci-dessous)
Image prise lors d’Idiff 2006 et son histogramme (ci-dessous)