Retour sur la master class Arri avec le chef opérateur et gaffer Cory Geryak

Par Margot Cavret, pour l’AFC
Il y avait une nouveauté à Camerimage cette année : le "film workshop center" est un nouvel espace, inauguré mercredi par Arri, qui y proposait un atelier sous la directive du chef opérateur et ancien gaffer Cory Geryak. Avec des temps d’intervention plus longs que pour les masterclass et conférences de la "conference room" (quatre heures et demi au lieu de deux), et une surface plus large, le film workshop center propose aux fabricants voulant l’exploiter la possibilité d’y faire des démonstrations pratiques. Pour un festival comme Camerimage, l’initiative fait sens. Cette année ils n’auront été que deux à l’utiliser (Arri s’est fait succéder le lendemain par Angénieux), mais on ne peut qu’espérer que le concept en séduira d’autres, et que le film workshop center sera reconduit l’année prochaine, avec plus de démonstrations, dans un cadre plus approfondi et plus confortable que sur le marché des exposants. Installé dans un gymnase, plus à l’est de la ville que le CKK et le Cinema City, et caché dans l’écrin d’un lycée, son principal défaut est d’être situé un peu à l’écart du reste des festivités. Ça n’aura pas découragé le public de ce mercredi, dont les retardataires doivent s’asseoir sur les marches tant la salle est comble pour pouvoir assister au workshop de Cory Geryak. (MC)

Avec plus de cinquante projets à son actif en tant que gaffer, Cory Geryak est récemment devenu chef opérateur. Avant de passer à la pratique, il raconte son parcours au public, en grande majorité composé d’étudiants et de jeune professionnels. Il explique s’être d’abord intéressé aux effets spéciaux, et ne s’être tourné vers l’image qu’une fois en école de cinéma, lors des premiers tournages qu’il y effectua. Arrivé à Los Angeles après ses études, il accepte tous les projets qu’on lui propose, et dévie naturellement vers l’électricité « c’est ce qu’on recherchait le plus à ce moment-là, donc j’acceptais ces postes-là. Et plus j’en faisais plus je devenais bon, et plus on me rappelait, jusqu’à ce que ça devienne véritablement mon métier » résume-t-il. Au tournant des années 2010, il décide de devenir chef opérateur et met un terme à sa carrière de gaffer. « C’était un recommencement, il fallait retrouver des réalisateurs avec lesquels travailler. Heureusement, les chefs opérateurs avec qui je travaillais comme gaffer ont été très bienveillants, ils m’ont souvent offert des postes de chef opérateur de seconde équipe ».

Cory Geryak pendant la master class - Photo Katarzyna Średnicka
Cory Geryak pendant la master class
Photo Katarzyna Średnicka


Il décrit aussi la relation entre chef opérateur et gaffer. « Ça varie beaucoup. Quand j’étais gaffer, je préférais travailler avec des chefs opérateurs qui me laissaient des libertés, qui me parlait du look global, de l’esthétique, des couleurs, de la qualité de lumière qu’ils recherchaient, mais qui me laissait la possibilité d’être créatif. Donc en tant que chef opérateur, j’essaye de laisser cette liberté au gaffer, et ça me plaît, car je dois aussi travailler étroitement avec le réalisateur, l’opérateur, etc. »

Photo Katarzyna Średnicka


Le gymnase est équipé d’un plateau de cinéma, reproduisant un décor de bar. Arrivé la veille avec son équipe, Cory Geryak a déjà prélighté ce décor, et le chef-électricien n’a plus qu’a allumer les projecteurs un à un à la demande du chef opérateur, ce qui rend le workshop dynamique. Expliquant sa démarche, il allume d’abord une rangée de SkyPanels équipés de softbox Rosco qui simulent un ciel clair, puis un Orbiter plus directif qui joue le soleil. Le public peut suivre à la fois ce qui se passe en direct sur le plateau, et voir le retour caméra sur deux grands écrans latéraux et un vidéo-projecteur au dessus du décor, tout en suivant les explication détaillées de Cory Geryak. « J’aime partir de zéro, et tout fabriquer petit à petit. Je commence toujours par les entrées de lumière par les fenêtres, car j’essaye de jouer au maximum avec cette lumière-là. Aujourd’hui on a de la chance, c’est un très beau décor, mais parfois, surtout sur les films qui n’ont pas beaucoup de budget, on tourne dans des endroits qui ne sont pas très élégants, et il faut jouer pour ne pas trop le montrer à la lumière et au cadre. En fonction de ça, je commence par choisir comment éclairer le décor, et une fois que les comédiens sont en place, je peux affiner la lumière sur eux ».

Photo Katarzyna Średnicka


Les comédiens prennent place, et il affine donc, en ajoutant un bounce qui vient rééclairer la comédienne, assise en contre-jour. Une fois la caméra en place, il ajuste également la place du soleil, afin qu’il vienne taper au bord de la fenêtre, pour créer un effet de flare. Il ajoute aussi un peu de fumée pour dessiner les rayons lumineux entrant par la fenêtre. « C’est un décor très simple » continue-t-il de commenter, « souvent la solution la plus simple est la meilleure ! Si on complexifie, on ajoute des problèmes. Là c’est une scène de jour, donc on veut voir un peu son visage, mais ce n’est pas la peine d’en faire trop. Sur Memento, le chef opérateur Wally Pfister disait tout le temps "peu importe si le visage est sombre, tant qu’on voit la brillance dans les yeux !". Ensemble on a fait The Dark Knight et The Dark Knight Rises, il m’a appris à ne pas avoir peur du noir ! Les spectateurs se sont habitués à voir des images sombres, ça ne les dérange plus. Le problème c’est surtout les producteurs ».

Photo Katarzyna Średnicka


Passant au plan serré, il hésite à rajouter un autre réflecteur pour amener plus de lumière sur le visage de la comédienne, et montre les deux solutions à l’audience, qui se fait sa propre opinion. En observant ce simili-tournage depuis l’extérieur, le spectateur attentif peut se rendre compte de la concentration permanente des techniciens, aux aguets des consignes, toujours prêts à anticiper. A l’instant où le chef opérateur disait « c’est peut-être un peu sombre ? », un électricien s’empressait déjà d’amener le réflecteur à la face.

Face aux questions du public, Cory Geryak choisit plus souvent la démonstration à l’explication orale. Interrogé sur les différentes températures de couleur utilisées sur la scène, il explique brièvement apprécier faire de légères variations entre les sources afin d’apporter du réalisme par ce contraste coloré, et précise qu’actuellement, les SkyPanels imitant le ciel sont réglés sur une TC de 7 000 K, tandis que l’Orbiter jouant le soleil est réglé sur 5 000 K. Puis il fait varier ces températures de couleur pour une explication plus visuelle des différents effets possibles. En éteignant le soleil et refroidissant les SkyPanels, il obtient facilement une ambiance nuageuse. Mais il perd la clarté qu’apportait le flare sur le visage alors il remet le deuxième réflecteur. De question en question, il ajuste sa lumière, et le public, ravi, en plus d’apprendre directement d’un grand technicien, à le sentiment de participer à cet atelier immersif.

(Compte rendu rédigé par Margot Cavret, pour l’AFC)