Retour sur les 6es Assises pour la Parité et l’Inclusion dans le cinéma et l’audiovisuel organisées par le Collectif 50/50

Contre-Champ AFC n°362


Le lundi 9 décembre 2024 a eu lieu, au Forum des Images, la 6e édition des Assises du Collectif 50/50 pour la parité et l’inclusion dans le cinéma et l’audiovisuel. Elles se sont ouvertes sur une pensée pour Adèle Haenel, puis sur la prévention et la lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) dans le cinéma.

À compter du 1er janvier 2025, le suivi de la formation pour les équipes de tournages sera une condition d’accès aux aides du CNC. L’AFDAS en assurera le financement et le suivi.

Trois actions menées par le collectif sont citées :
- La Bible 50-50, inaugurée en 2019, a pour vocation de rendre visibles des profils représentatifs de l’ensemble du tissu culturel, ethnique et social français.
- Le programme de mentorat 50/50 met en lien à chaque session 25 jeunes avec des mentors professionelles afin de favoriser leur entrée dans le métier visé. Depuis 2020, 280 jeunes ont été accompagnées grâce à ce dispositif.
- Le Ciné-club 50/50 organise des projections-débats afin de mettre en lumière des réalisatrices actuelles et de présenter des films récemment restaurés et/ou numérisés pour lutter contre l’invisibilisation du matrimoine.

Fabienne Silvestre, cofondatrice et directrice du Lab Femmes de Cinéma, a présenté L’étude du Lab 2024 sur les mesures pour plus de parité en Europe. Elle montre que « aujourd’hui encore, en moyenne européenne, une réalisateurrice sur quatre seulement est une femme. Différentes études montrent par ailleurs que les femmes de cinéma continuent à être en moyenne moins payées, moins subventionnées, moins programmées et les personnages féminins, encore trop souvent stéréotypés ». Retrouvez l’étude qualitative complète ici.

La journée a été rythmée par trois tables rondes et trois keynotes.

Table ronde "#MeToo : quand les journalistes cinéma passent à l’enquête"
Modérée par Clémentine Charlemaine, DG de Cinéma pour tous et administratrice du Collectif 50/50.
Avec :
- Mathilde Blottière, reporter à la cellule enquête - Télérama,
- Lénaïg Bredoux, co-directrice éditoriale - Mediapart,
- Florian Krieg, rédacteur en chef - Le Film français,
- Sandra Onana, cheffe adjointe du service Culture - Libération.

Trois axes principaux ressortent de cette table ronde :
- L’évolution des regards des journalistes sur leurs propres articles
Mathilde Blottière (Télérama) mentionne un entretien qu’elle a elle-même signé en 2010 avec Benoît Jacquot dans Télérama, rapportant des propos sur les actrices avec qui il a tourné, qui ne passeraient plus aujourd’hui. Ces derniers mois, Judith Godrèche a interpellé la profession des journalistes sur la question du lègue de ce type d’article.
- Socialisation du regard
Notre regard est conditionné à regarder certaines œuvres, évoque Sandra Onana (Libération). On apprend à accepter dans les films des situations qui, au fond, peuvent nous mettre mal à l’aise. Aujourd’hui les regards s’affinent, plus d’attention est donnée à ce qu’il se passe à l’écran et au sein même du processus de fabrication d’un film.
- La méthode d’enquête sur les VHSS
Lénaïg Bredoux (Médiapart) rappelle que le respect de la déontologie des journalistes s’applique évidemment à ces enquêtes. Ce qui les différencie, c’est qu’elles sont plus récentes, et que les sources sont aussi et surtout des victimes ou victimes présumées. Pour elles, parler représente une prise de risque et un parcours douloureux. Surtout, le choix de la médiatisation leur revient, contrairement à d’autres enquêtes. Parfois les victimes refusent la médiatisation par peur d’être blacklistées ou “d’abîmer” le film.

Une keynote a d’ailleurs été dédiée aux films dits "abîmés".
- Keynote "VSS : quelles perspectives pour la programmation des films dits "abîmés" ?"
Présentée par Laura Pertuy, journaliste, programmatrice et administratrice du Collectif 50/50.
Avec Fabien Gaffez, directeur artistique et directeur des programmes - Forum des images, et Anne Ouvrard, adjointe actions culturelles et communication - AFCAE.

Certains films pour les exploitants sont difficiles à programmer, à l’image de J’accuse, de Roman Polanski, ou encore Jeanne du Barry , de Maïwenn.
Anne Ouvrard mentionne la difficulté à créer une charte. Chaque film a en effet ses propres problématiques ; un "carton" dans les salles ou au guichet pour informer le public a parfois été mis en place. La réception de la part de ce dernier est mitigée. Il peut se sentir culpabilisé d’aller voir le film en question.

Le fait d’inviter la personne incriminée aux avant-premières se pose aussi : si elle est mise en examen elle n’est pas invitée, notamment par respect pour la victime présumée, potentiellement présente. Cela pose problème si c’est le réalisateur ou une figure importante du film. Il est question ici de décentrer le regard, de remettre le collectif au centre : pas seulement les réalisateurs pourraient intervenir aux projections mais aussi l’équipe technique.
Est évoquée l’idée d’une clause "MeToo" qui permettrait aux distributeursrices et exploitantes d’abandonner le film si des poursuites pour VHSS sont engagées. Cependant il faudrait en définir les conditions.
Le Sommet des Arcs, rendez-vous incontournable pour les professionnels de la distribution et de l’exploitation, aura lieu du 17 au 21 décembre.

Ces interventions sur les VHSS nous renvoient évidemment à Adèle Haenel ou encore à Judith Godrèche. Une keynote a été dédiée à la protection des mineures sur les tournages.
- Keynote "Des engagements en faveur de la protection des mineures sur les tournages"
Présentée par Marine Longuet, assistante de réalisation et administratrice du Collectif 50/50.
Avec Catherine Agbokou, responsable Pôle Enfant - Thalie Santé.
La question des postes d’encadrement des mineures se pose. Il existe une responsable enfant sur les plateaux, mais ne devrions-nous pas tous et toutes être responsables ?
L’ARDA a mis en place sa Charte Casting Mineures visant à protéger le ou la mineure et préserver son intégrité physique et morale.

Thalie Santé (ex CMB), représenté par Catherine Agbokou, responsable du suivi médical des enfants, a une mission de conseil auprès de l’employeur des enfants afin de les préserver.

Une keynote et une table ronde ont par ailleurs été dédiées aux questions de racisme, autour d’une enquête sur les discriminations au casting et des termes pour agir contre les discriminations.
- Keynote "La couleur des rôles : restitution de l’enquête sur les discriminations au casting"
Présentée par Raphaël Gribe Marquis, producteur et administrateur du Collectif 50/50.
Avec Maxime Cervulle, professeur en sciences de l’information et de la communication, Université Paris 8, CEMTI, et Sarah Lécossais, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université Sorbonne Paris Nord, LabSIC.

Casting et diversité : l’origine perçue dans la distribution artistique (théâtre, cinéma, audiovisuel). Cette enquête porte sur le vécu d’acteurrices racisées au moment du casting, des rôles qui leur sont prescrits et proscrits.

Quatre points ressortent de cette keynote :
- Deux axes de discrimination :

  • Une ségrégation verticale : personnes perçues comme non-blanches peu présentes dans les rôles importants, plutôt dans des second rôles et rôles-fonctions.
  • Une ségrégation horizontale : enfermement dans certains genres filmiques et dans des rôles dits "ethniques" avec intitulés comme "terroriste", "l’Arabe de service", "femme de ménage", etc.
    - Question des quotas : sont-ils vraiment inclusifs ?
    "L’inclusion" est surtout vraie dans les rôles secondaires et rôles-fonctions. Un paradoxe est par ailleurs soulevé : les personnes racisées se voient parfois refuser des rôles à connotation négative au nom de la lutte contre les stéréotypes.
    - Castings, des sources d’humiliations
    Fabrication d’accents, se conformer à un imaginaire des directeurrices de casting, avec des commentaires comme "tu ne fais pas assez Sénégalais", par exemple.
    Une fois engagées sur un projet, les acteurrices interrogées sont très souvent confrontées à des refus de prise en charge par les HMC ou subissent du racisme ordinaire sur les plateaux sous couvert d’humour.
    - La mise en place de tactiques
    Jouer le jeu, combattre les stéréotypes une fois engagée, refuser des rôles (choix coûteux), ou bien quitter le métier ou la France.
    L’importance de la formation des scénaristes à ce sujet est rappelée.

Une table ronde vient préciser l’importance du vocabulaire considéré problématique et celui à privilégier pour agir contre le racisme et les discriminations.
- Table ronde "Au delà de la ’diversité’ : dire les termes pour agir"
Modérée par Yasmina Jaafri, cheffe monteuse et administratrice du Collectif 50/50.
Avec Marie-France Malonga, sociologue des médias, spécialiste des représentations sociales et médiatiques des minorités, Karim Miské, auteur et réalisateur, Christelle Murhula, journaliste, autrice et porte-parole de l’AJAR.

Quel vocabulaire choisir ?
Le mot "diversité" pose problème, il est trop général, fourre-tout, il est souvent utilisé pour éviter de nommer directement les personnes racisées (comme le fait de dire "black", "beur", plutôt que "noir" et "arabe").
Le mot "race" a été supprimé de la Constitution par François Hollande. Le terme "racisé" dérange : ici, le mot "race" est entendu dans son aspect social. L’idéologie universaliste en France interdit de faire des études statistiques sur la base de l’origine, la couleur de peau, etc. (sauf régimes d’exception, comme c’est le cas dans la police). Cela vient poser problème lorsqu’il s’agit d’apporter des données chiffrées sur les discriminations.
Une intervention dans le public soulève la question de l’injonction à l’autodérision pour les personnes racisées ou encore en situation de handicap dans les films ou le spectacle vivant. Cela peut être limitant, comme si c’était la seule façon de parler de soi pour elles. Un individu ne se voit pas que par le prisme de sa "différence" ; elle lui est sans cesse renvoyée par le regard des autres.

Les assises se sont conclues par une table ronde sur la place des femmes dans le documentaire.
- Table ronde "Audiovisuel : parité et inclusion dans le documentaire"
Modérée par Julien Goetz, comédien et administrateur du Collectif 50/50, et Giusse Dembault Lalois, productrice.
Avec :
- Marie Beuzard, responsable de l’accompagnement et de l’accélération des nouveaux talents et de nouveaux projets - Arte France
- Karine Dusfour, réalisatrice - La SCAM et Nous réalisatrices de documentaires
- Antonio Grigolini, directeur des documentaires - France Télévisions
- Estelle Walton, journaliste, réalisatrice et vice-présidente de GARRD.

Selon l’étude du Lab 2024, « les réalisatrices sont proportionnellement plus présentes dans le documentaire, où le budget moyen d’un film est bien inférieur au budget moyen d’un film d’animation ou de fiction ». Là où il y a plus de femmes, il y a moins de budget. L’enjeu est par ailleurs de ne pas cantonner les femmes réalisatrices aux sujets considérés "féminins" (philosophie, éducation, santé, etc.), et de leur donner accès aux sujets investis par les hommes (histoire, sciences).
Il n’existe pas de salaire minimum pour les réalisateurrices de documentaires, qui doivent donc le négocier. Les femmes ont cependant moins tendance à le faire. Elles n’y sont pas encouragées dès le début de leur carrière, contrairement aux hommes.

Marie Beuzard (Arte) rappelle l’existence du concours Et pourtant elles tournent, qui permet de révéler et d’accompagner des réalisatrices émergentes. Karine Dusfour conclut en citant Alice Diop : "Je suis devenue cinéaste pour offrir au monde tous les récits manquants".

(Article rédigé par Laurine Desmare Malvestio pour l’AFC)