Syngué sabour – Pierre de patience

Paru le La Lettre AFC n°228 Autres formats

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A l’occasion de la sortie en salles de Syngué Sabour – Pierre de patience, d’Atiq Rahimi, Thierry Arbogast, AFC, s’est entretenu avec François Reumont pour l’AFC à propos de son travail sur le film.

Thierry Arbogast, AFC est surtout connu pour sa fidèle collaboration de plus de vingt ans avec le réalisateur producteur Luc Besson, (depuis Nikita en 1990). Mais il a aussi été aussi le chef opérateur du Hussard sur le toit de Jean-Paul Rappeneau, des Rivières pourpres de Mathieu Kassovitz ou de Ridicule de Patrice Leconte.
Avec
Pierre de patience, il accompagne l’écrivain Atiq Rahimi dans l’adaptation à l’écran de son propre roman, prix Goncourt 2008. (FR)

De g. à d., Thierry Arbogast, Hasib, Atiq Rahimi - Photo DR
De g. à d., Thierry Arbogast, Hasib, Atiq Rahimi
Photo DR

Comment vous a-t-on présenté le film ?

TA : J’ai d’abord découvert le projet par la lecture du roman. Ce qui était formidable c’est que le texte littéraire regorgeait de détails et de description sur la lumière, les ambiances qu’on peut avoir en Afghanistan. Une vision déjà très imagée, bien qu’à la base l’histoire se déroule essentiellement dans une seule pièce.
Par la suite, un des challenges de l’adaptation a été d’aérer le récit en rajoutant des séquences extérieures qui permettent d’échapper au pur huis clos. Quoi qu’il en soit, même si le film reste majoritairement confiné, il est aussi paradoxalement très solaire, puisque c’est la lumière du jour qui rythme la vie à l’intérieur de la maison, et le film.

Le fait de tourner avec un écrivain, est-ce que ça change la donne pour l’opérateur ?

TA : J’ai senti vraiment un écrivain qui est aussi réalisateur. Sa transposition du livre ne décevra pas ses lecteurs car il est parvenu à retrouver visuellement la poésie du livre. Même s’il a du couper dans certains chapitres, ou abandonner certaines choses, je trouve vraiment que la force de l’histoire et des personnages est là.

Le film s’est monté vite ?

TA : Après deux ans de tergiversations, le film s’est soudain financé en l’espace de quelques mois, et on a du vite se lancer dans les repérages et s’engager sur des choix en fonction d’un budget qui était vraiment très modeste (1,5 M €). Le plan de travail s’est réparti sur cinq semaines au Maroc, puis une semaine à Kaboul, pour certaines séquences d’extérieur jour qui permettent de croire vraiment que toute l’histoire se déroule sur place.

Parlons de la partie marocaine...

TA : On a tourné les intérieurs à Casablanca, dans un quartier à l’abandon. Tous les alentours ont été façonnés de manière à croire à une ville dévastée par la guerre. Les murs ont été criblés de balles, et parfois à moitié effondrés...
La maison qui a été choisie a été transformée en demeure afghane avec la cave en dessous, le petit patio.... J’ai immédiatement demandé à ce que le choix de cette maison se fasse en fonction d’une exposition nord, ce qui m’a permis d’éviter de me battre avec le soleil en direct, et d’assurer le raccord à partir d’un 18 kW HMI en source principale.
La plupart du temps le décor était éclairé avec cette source positionnée selon l’heure de la journée, croisée parfois avec deux autres HMI uniquement en provenance de l’extérieur. A l’intérieur je ne rajoutais qu’un polystyrène ou un réflecteur. Une sorte de tournage en lumière " naturelle " recréée.

Tournage de rue - Thierry Arbogast, au centre, et Atiq Rahimi, près de la porte - Photo DR
Tournage de rue
Thierry Arbogast, au centre, et Atiq Rahimi, près de la porte - Photo DR

Avec quelle caméra avez-vous tourné ?

TA : En ce qui concerne le cœur du film au Maroc, j’ai choisi de filmer en Alexa en ProRes avec des optiques anamorphiques de chez Vantage (les Hawk V-Lite 1,3). Cette combinaison permet d’exploiter au mieux le capteur 16/9 de la caméra, avec une anamorphose de rapport 1,3, ce qui donne du format 2,4:1 à la fin.
En revanche, la partie tournée à Kaboul a été faite avec deux Canon 5D Mark II, car la discrétion était la priorité principale. Sur l’appareil et son capteur 24 x 36, j’ai pu utiliser un 50 mm anamorphique qui nous a beaucoup servi pour tous les plans larges en extérieur.

Une optique qui couvre le 24 x 36 ?

TA : Oui, cet objectif appartenait à Saba, mon cadreur d’origine iranienne. Une optique fabriquée à partir d’un 50 mm Nikkor 1,8 et d’une anamorphose avant Iscorama de rapport 1,5. Ce qui là encore permet d’utiliser le plein capteur du Canon, et obtenir un angle de champ latéral d’un 25 mm sphérique. Pour les séquences demandant des gros plans (comme celle du combat de cailles) on été tournées avec des zooms photo " classiques ".
Au départ, le monteur avait quelques réserves sur le raccord direct parfois à l’intérieur d’une même séquence entre intérieur et extérieur, soit Alexa et Canon... Après l’étalonnage sur Lustre où nous avons légèrement rajouté du contour aux images faites au Canon et la définition, somme toute limitée, de l’Alexa en ProRes, je ne vois pas beaucoup de différence.

Avez vous filtré ?

TA : J’ai très peu filtré car je trouve le rendu de ces optiques Hawk très beau. Néanmoins il m’est arrivé d’utiliser un " glimmer " bronze pour diffracter les hautes lumières et créer des flares dans les rayons de soleil.

Et les séquences de nuit ?

TA : Pour les séquences de nuit, j’ai beaucoup utilisé les lampes à pétrole, en poussant un peu l’Alexa à 1 200 (au lieu des 800 ISO habituels) et en ouvrant l’obturateur à 240 ou 350° pour des scènes statiques. Honnêtement, je sais qu’il y a des opérateurs qui sont allergiques à ça, mais moi je n’ai aucun scrupule à l’utiliser tant que le Motion Blur ne se remarque pas trop. Etant moi-même un fan de Barry Lyndon, j’aime tourner avec des lumières bougies complètement naturelles, et je pense que si Kubrick avait pu connaître les technologies actuelles, il aurait sans doute tourné en numérique et utilisé au mieux toutes ces évolutions et les nouveaux outils.

En matière de nouveautés, avez-vous déjà pu filmer avec l’Aaton Penelope Delta ?

TA : Non, pas encore, mais j’ai hâte de pouvoir l’essayer pour un projet. C’est vrai que l’astuce qui consiste à recréer une image proche de l’esprit de la pellicule (avec une cible qui se déplace aléatoirement d’un demi pixel à chaque image) me séduit beaucoup. Mais j’ai aussi très envie de voir bientôt arriver des caméras à grand capteur (en 24 x 36 mm comme le Canon 5D ou 23 x 52 mm, soit l’équivalent du film 70 mm). Plus le capteur est grand, plus l’image est généreuse. Ça me rappelle ma jeunesse au Kinopanorama, quand j’allais voir les films sur cet écran immense... j’étais complètement médusé. Pour moi c’est vraiment ça le cinéma.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

Équipe

Cadreur d’origine iranienne : Saba Mazloum
1er assistant réalisateur : Vincent Canaple
Equipe marocaine

Technique

Materiel caméra : Vantage Films (Arri Alexa ProRes et optiques anamorphiques Hawk V-Lite 1.3x Squeeze)
Matériel pour la partie Afghanistan : Canon 5D, optique anamorphique Isco Göttingen 50 mm f2.8 Iscorama, optiques Nikon et zooms
Matériel électrique pris au Maroc
Laboratoire numérique à Berlin