TSF à Cannes 2021 : "Cow", d’Andrea Arnold, photographié par Magda Kowalczyk


Si l’on doit retenir quelque chose de ce 74e Festival de Cannes, c’est bien qu’il était placé sous l’égide de la curiosité, de l’envie de montrer des films de cinéma, et la volonté du public cannois de les voir. N’était-ce pas l’intention de la création de Cannes Première, cette nouvelle sélection officielle qui échappe complètement au principe de compétition, et dans laquelle figure le nouveau film d’Andrea Arnold, Cow ? Aurélien Branthomme (Superviseur technique image, Workflow & Color Management chez TSF Caméra) rencontre Magda Kowalczyk, cheffe opératrice du film.

Est-ce que tu peux nous raconter ta rencontre avec Andrea Arnold ?
Magda Kowalczyk : Ma rencontre avec Andrea s’est faite par le projet. Elle faisait passer un casting d’opérateurs. J’ai fait plusieurs tests.
Le premier test a été de filmer dans une ferme, autour de Londres. L’idée d’Andrea était déjà de filmer des vaches, mais dans cette première ferme, il n’y en avait pas. Il s’agissait de moutons, de poulets. Andrea nous avait donné une sorte de brief : ne filmer qu’un seul animal, filmer depuis le point de vue de l’animal. Cela évoquait aussi la métaphore entre la vie humaine et la vie animale. On pouvait déjà se rendre compte des intentions du film à l’arrivée. J’ai littéralement sauté par-dessus la barrière et j’ai alors beaucoup filmé d’alpagas !

Le second test s’est fait par un simple e-mail. Cette fois-ci, il fallait bien filmer une vache. Sans d’autres directives. Mais à ce moment-là, c’était l’époque de Noël et j’étais rentrée dans ma famille en Pologne. Alors j’ai dû chercher une solution car nous vivons en ville mais d’amis en amis d’amis, etc., j’ai trouvé un endroit à la campagne. J’ai pu alors filmer une vache pendant toute une journée et j’ai envoyé les images à Andrea.
Le troisième test s’est déroulé dans la ferme que nous utiliserions plus tard comme décor final du film. J’ai eu beaucoup de chance cette fois car je suis tombé sur une gentille vache (rires) qui mettait bas. Ma mère, monteuse de documentaires, m’a toujours dit : « Le principal dans un documentaire est de trouver un bon personnage ». Mais cette fois, nous ne filmions pas mais apprenions plutôt à nous connaître.

Photo : Tessa Morgan

Est-ce que ces tests ont servi aussi à choisir la caméra et les objectifs ?
MK : Non, ces tests étaient seulement faits pour tester les opérateurs. Ils se sont déroulés en DSLR GH2 et des Olympus Zuico, c’était il y a huit ans… ! (Rires) Alors que le film s’est finalement tourné en FS7 avec de vieux objectifs photo Zeiss Planar et Zeiss Distagon, un Alpha 7S pour les nuits et une Arri Alexa Mini et une série Ultra Prime pour une nuit.

Nous avions fait des tests en pellicule et tourné pendant une journée en 16 mm (que nous avions ensuite étalonné). Malheureusement, c’était trop onéreux pour le projet.

Tu es souvent très près des vaches dans le film, je suppose que ça a joué sur ton choix d’optiques ?
MK : Bien sûr ! Mais comme il fallait filmer les vaches et des humains, le choix de la focale a été aussi important. Pour Luma, la vache que l’on voit le plus dans le film, c’était surtout le 20 mm. Et le 35 mm le plus souvent pour la plus petite.

On voit dans le film qu’elles te rentrent parfois dedans (Rires)
MK : (Rires) Oui, parfois il fallait s’éloigner. Ce sont de curieux animaux qui ont un rapport particulier à ce qui les entoure. Tous les matins je passais une demi-heure avec elles sans tourner pour leur "dire bonjour". Elles s’approchaient et léchaient le matériel et moi, et après nous pouvions commencer.

Tu parlais tout à l’heure du 16 mm… C’est resté une référence esthétique ?
MK : La question essentielle est que nous avons eu très peu de temps de postproduction. Je suis très contente du résultat actuel ! Mais si j’avais disposé de plus de temps, bien sûr j’aurais poussé pour que l’aspect du film soit encore moins "digital" et plus "pellicule".

Photo : Tessa Morgan

Est-ce que tu étais seulement en "available light" ou est-ce que tu avais de la lumière sur le tournage ?
MK : J’avais deux 650 W dans les véhicules et des briques LED. Le reste était la lumière disponible de l’endroit ! Nous avions tout de même un gaffer pour les nuits. Pour la séquence de la nuit avec les étoiles, il y avait un 1 000 W tungstène et un 2 kW, l’un pour le débouchage et l’autre pour le directionnel sur l’herbe.

Tu étais à quel ISO ?
MK : Quand nous tournions avec l’Alpha, je pouvais augmenter l’ISO, mais la nuit, avec l’Alexa, j’étais à 800. Nous étions évidemment à la limite des systèmes mais je n’ai pas eu de problèmes.

Comment visualisiez-vous les images sur le tournage ? Est-ce que tu avais un moniteur ? Est-ce qu’Andrea avait un moniteur et te donnait des indications ?
MK : Je n’ai travaillé qu’à l’œilleton. Il n’y avait pas de moniteur. Parfois Andrea n’était pas sur le tournage, parfois elle était là. Mais il n’y a jamais eu de moniteur même les jours où elle était présente. Quand elle était là, elle "animait" en quelque sorte ce qui se passait devant la caméra car, finalement, les vaches réagissaient surtout aux fermiers.

C’est un film très solaire, est-ce que ça a influé sur le rythme du tournage ? Est-ce que tu as pu planifier les heures de tournage ?
MK : Nous avons eu environ cent jours de tournage sur plusieurs années, donc nous avions de la matière, mais nous tournions au maximum trois jours de suite, pas plus. En fait, nous attendions des jours de pluie ! Et nous avons pu avoir un plan où il neigeait. Mais le soleil rend l’expérience des vaches plus naturelle !

Photo : Tessa Morgan

Ce doit être incroyable de tourner un film avec Andrea Arnold comme cheffe opératrice, comment ça se passait concrètement ?
MK : Oh ! C’était le paradis ! Le projet a commencé il y a plusieurs années : Andrea travaillait encore sur American Honey. Elle avait un temps très limité pour ce nouveau projet. Donc elle m’a délégué beaucoup de choses. Mais elle regardait tout ce que je tournais et me faisait des retours précis. Par exemple, j’aime beaucoup les papillons et j’avais tendance à les cadrer vu que j’étais en pleine nature, et Andrea trouvait ça inutile.
De la même manière, elle m’a conseillé d’intégrer davantage les humains dans les cadres en allant même les chercher par des panos. Elle disait que si on ne voyait pas assez les fermiers, dans notre imagination, cela pouvait vouloir dire qu’on les excluait comme s’ils étaient méchants ou négatifs pour les vaches, ce qu’Andrea ne voulait pas faire du tout.

Elle m’a aussi beaucoup parlé des barrières, et du soleil évidemment. Mais aussi de choses moins concrètes, des choses philosophiques sur lesquelles elle souhaitait sûrement que je me pose des questions : l’instinct et la nature de l’animal par exemple.

Et puis il y avait des considérations très concrètes : il fallait courir derrière les vaches pour les suivre. Les vaches sont énormes, je crois qu’on ne se rend pas bien compte dans le film que, quand on les suit d’une partie de l’étable à une autre, la distance est en fait très grande et c’était du sport de les filmer sur une distance pareille (Rires) !

(Propos recueillis par Aurélien Branthomme, pour TSF Caméra)