Témoignages en souvenir de Bertrand Tavernier

Contre-Champ AFC n°318

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Le récent départ de Bertrand Tavernier a entraîné de nombreuses réactions en provenance de tous les bords du monde du cinéma. Outre celles de quelques personnalités, nous proposons ici de lire les témoignages de Richard Andry, AFC, Pierre-William Glenn, AFC, Agnès Godard, AFC, Laurent Heynemann, Pascal Lebègue, AFC, Denis Lenoir, AFC, Gilles Porte, AFC, et Myriam Vinocour, AFC.

Grande tristesse. Bertrand nous a quittés. C’était un être extraordinaire et unique. J’ai eu, à plusieurs occasions, la chance de le côtoyer. Tout d’abord en qualité d’assistant caméra de Pierre-William Glenn sur Que la fête commence et Le Juge et l’assassin. A chaque fois, c’était une aventure et un voyage enrichissant. Sur Que la fête commence, pour obtenir un rendu d’image inspiré de la peinture de l’époque de la Régence et l’éclairage à la bougie, nous avons tourné avec les premières optiques grande ouverture disponibles en France, des F&B Ceco que Chevereau avait fait venir des États-Unis et qui ouvraient à 1,1 et 1,3 suivant les focales sur une monture Mitchell adaptée à une Arri BL3. Un beau challenge réussi. Le film est sorti en 1975, la même année que Barry Lyndon.
Bertrand était un conteur riche d’une culture quasi universelle. Il était chaleureux, drôle, à la joie communicative. Je me souviens qu’une de ses expressions favorites était : « C’est poilant ! », quand, se frottant les mains et secoué par un bon rire joyeux, il goutait une nouvelle fois la bien bonne histoire qu’il venait de nous raconter. On riait souvent, l’ambiance était très bonne. Sa relation avec les acteurs était faite de complicité et d’estime et on pouvait dire qu’il y avait une ambiance quasi familiale sur le plateau. Avec des acteurs comme Noiret, Rochefort, Marielle : c’était vraiment la fête. Tourner avec lui était un bonheur. Sur Le Juge et l’assassin, nous tournions en Ardèche en automne. Il aimait ajouter maximes et bons mots sur la feuille de service, nous invitant à faire de même : la feuille était vite devenue "La Gazette du Vivarais". Ces deux beaux films (parmi de nombreux autres) illustrant la formidable collaboration en symbiose de Bertrand et Pierre-William. Ma compagne ayant travaillé avec lui sur Daddy nostalgie, j’ai eu le plaisir de retrouver Bertrand quelques années plus tard. Il nous a aidés à monter un projet, nous sommes restés en contact et nous avons dîné plusieurs fois avec lui, c’était toujours « poilant ». Bertrand était fidèle et généreux. Après avoir passé un moment avec lui, vous vous sentiez plus riche et plus joyeux. Il était très occupé à de multiples ouvrages mais, toujours à l’écoute, il ne vous laissait jamais tomber quand vous aviez besoin de lui. Passionné de Musique et en bon passeur qu’il était, comme je ne connaissais pas Buddy DeFranco, il m’a offert un de ses CDs. Oui, il était extraordinaire et unique et de tous les combats contre l’injustice. Il nous laisse une œuvre importante : ses films, ses livres et tous ces merveilleux interviews qu’il a généreusement et chaleureusement accordés, sans langue de bois, tout au long de sa vie professionnelle. Oui mais l’homme va vraiment nous manquer. Au revoir Bertrand.
Richard Andry, AFC

Bertrand Tavernier - Photo Institut Lumière
Bertrand Tavernier
Photo Institut Lumière

C’est à Denis Lenoir que je dois d’avoir travaillé, comme cadreuse, avec Bertrand Tavernier sur Daddy nostalgie, avec Dirk Bogarde, Jane Birkin et Odette Laure, un scénario de Colo Tavernier pour un film un peu à part dans sa filmographie.
Je me rappelle sa connaissance phénoménale du cinéma français et américain.
Il en était littéralement habité et la partager lui procurait un plaisir malicieux, peut-être plus que ce film intimiste tourné à Bandol, en Scope, à l’automne.
Je me rappelle aussi la ressemblance avec son père, René Tavernier, que j’ai eu comme professeur, un phrasé à la Renoir épatant, n’est-ce pas Denis !
Agnès Godard, AFC

Cette image de Bertrand venant faire la promotion de mon premier film sur le plateau de Michel Drucker… C’est toute sa passion et sa générosité. Il a brisé ma timidité en me donnant confiance, il m’a poussé à combattre les embuches, à affronter les réponses négatives, à brûler les étapes, à convaincre les tièdes, à tourner le dos aux ennemis et à dégotter les défenseurs.
Bref, il a fait de moi un metteur en scène.
Et derrière cette énergie farouche de pousser ses assistants, ses amis en avant, il nous poussait vers le haut. Vers plus d’ambition… Dans une des dernières conversations que j’ai eu avec lui sur l’étalonnage de Que la fête commence, qu’il a voulu que Jean Achache et moi nous validions, car il était trop faible pour venir à Paris, je lui ai demandé ce qui comptait le plus, pour lui, dans l’image du film. C’était pour inspirer ma vision globale. Il m’a répondu : « Le culot de Willy ».
Laurent Heynemann, réalisateur

Laurent Heynemann et Bertrand Tavernier invités dans une émission de Michel Drucker - Capture d'écran
Laurent Heynemann et Bertrand Tavernier invités dans une émission de Michel Drucker
Capture d’écran

Bertrand je ne l’ai connu que comme assistant à la camera.
Bertrand, c’est mon premier tournage en extérieur, pour les dernières semaines du Juge et l’assassin, dans les Cévennes (le Vivarais pour être exact), autant dire inoubliable.
Je remplaçais l’ami Richard, remonté chez Alga pour faire les essais du "prochain".
Je me souviens du premier 1 000 pieds que j’ai déchargé et mis en boîte. Le travail de toute une équipe, des acteurs, de Bertrand, le plateau, tout là, devant moi, dans la chambre noire ! Je n’en ai pas dormi, en transe jusqu’au coup de fil donné à LTC le lendemain.
Bertrand était un classique et ne s’en cachait pas (post-nouvelle vague pourrait-on dire). Il aimait John Ford et Hollywood, les travellings et avant tout les acteurs. Quel enthousiasme pour ses acteurs ! Il faut dire qu’avec Noiret, Galabru, Huppert, Brialy, il était gâté !
Bertrand est et restera lié à mes débuts, à mon initiation, le début d’une formidable aventure de cinq ans avec Pierre-William et de 45 années-lumières avec le cinéma.
On n’oublie pas ce genre de choses, merci Bertrand !
Pascal Lebègue, AFC

C’était en 1989, quelques semaines à Sanary en compagnie de Jane Birkin et Dirk Bogarde pour Daddy nostalgie, que nous avons filmé dans la lumière d’un éternel cinq heures du soir, doré et un peu triste. Bertrand et moi avons à cette occasion assez vite compris que ce serait sans doute notre seule collaboration. Cela ne nous a pas empêchés de continuer à nous voir régulièrement les années suivantes ; je ne sais quel intérêt il trouvait à dîner avec moi, mais je sais combien j’aimais ces moments qu’il voulait bien me donner.

Sur le tournage de "Daddy nostalgie", en 1989 - De g. à d. : Denis Lenoir, Bertand Tavernier, Jane Birkin et Dirk Bogarde
Sur le tournage de "Daddy nostalgie", en 1989
De g. à d. : Denis Lenoir, Bertand Tavernier, Jane Birkin et Dirk Bogarde

Bertrand avait une mémoire extraordinaire, il avait retenu, très en détail, tous les livres lus et tous les films vus, et ils étaient incroyablement nombreux. Une érudition fantastique, un réservoir inépuisable d’anecdotes toujours contées avec enthousiasme, la voix partant dans l’aigu à la chute du récit. Je l’ai parfois revu aux États-Unis, au festival de Telluride en particulier, où son anglais, curieux mélange d’un accent à la Maurice Chevalier et d’un vocabulaire d’une richesse stupéfiante, lui faisait régulièrement charmer tous les publics.
Denis Lenoir, AFC, ASC, ASK

Cher Bertrand,
Toutes les premières fois sont celles qu’on oublie jamais.
Mon premier film, comme première assistante caméra, c’est Alain Choquart qui me l’a offert et c’était L.627. Comme j’étais émue et fière d’être à tes côtés.
Je me souviens de ce film comme si c’était hier. Nos plans en caméra cachée dans un "soum" (une camionnette de police équipée pour la surveillance) au 300 mm en plein Barbès. Les Algecos, les squats et les courses poursuites dans le métro où Jean Roger Milo ne s’arrêtait plus de courir même après le « Coupez ! ».
Puis il y a eu La Guerre sans nom, un magnifique documentaire sur la guerre d’Algérie. Avec toi, nous avons parcouru tout le pays juste au moment de la guerre du golfe. Peu après, ce fut L’Appât.
Tu avais cet enthousiasme contagieux qui poussait chacun à être meilleur. A se dépasser, à vouloir que tu sois « content ». Tu étais fier de ton équipe.
Toujours une histoire à nous raconter, un livre à nous conseiller ou un film à voir.
Tu nous questionnais, tu te réjouissais avec tous du film qui était en train de se construire.
Capitaine Conan, encore une aventure inoubliable au fin fond de la Roumanie. Ce fut mon dernier film comme assistante à tes côtés et le premier où tu m’as permis de faire du cadre.
Je me souviens des projections de rushes 35 mm dans un cinéma improvisé avec un projecteur qui venait de France et ma fébrilité au moment de charger l’appareil.
Et puis je suis venue en 2de équipe comme chef op’ sur Laissez-passer. C’était un grand honneur que tu me faisais.
Le temps est passé. Quand j’ai su que tu étais parti, j’ai pleuré.
J’aurais voulu te dire au revoir comme il faut...
Pour tout ce que tu as été, un homme de cinéma enthousiaste et pudique.
Tu aimais les gens plus que tout et ta manière de leur dire était de faire des films.
Merci Bertrand, merci tellement de m’avoir permis de croiser ta route !
Avec toute mon affection.
Myriam Vinocour, AFC

  • Lire aussi une lettre de Pierre-William Glenn, AFC
  • Lire l’article indiquant des liens donnant accès à des textes de Thierry Frémaux, Martrin Scorsese, Serge Toubiana et Emile Ghigo, ADC.

En vignette de cet article, Bertrand Tavernier pendant le tournage de La Princesse de Montpensier - Photo Etienne George