Un nouveau scénario pour l’avance sur recettes ?

par Nicole Vulser

La Lettre AFC n°115

Le fonctionnement de l’avance sur recettes, qui permet d’attribuer des aides publiques destinées au financement de 50 à 60 films par an, a été gravement mis en cause au début de l’été. Lors de la séance du 27 juin, le jury, présidé par Frédéric Mitterrand, avait sélectionné dix des trente-quatre projets, en excluant de cette liste d’élus des metteurs en scène aussi confirmés que Jacques Rivette, Tonie Marshall, Raoul Ruiz ou Claude Miller.
Parlant d’une même voix, les producteurs indépendants avaient proposé de réformer ce système d’aides publiques, en réservant des sommes moindres (jusqu’à 8 000 euros) à des films produits par des grands groupes, qui avaient, selon eux, davantage besoin d’un label institutionnel que d’argent. A contrario, les producteurs indépendants plaidaient pour une aide plus importante (jusqu’à 600 000 euros) pour les films d’auteurs, plus difficiles, qui, en cette période de crise de financement, ont plus que jamais du mal à boucler leur budget.

Cette difficulté à trouver un financement est la raison pour laquelle le nombre de scénarios qui postulent pour l’avance sur recettes, reçus au CNC - qui chapeaute le service des aides sélectives au cinéma -, a brusquement augmenté en 2002, passant de moins de 600 à environ 650. Les demandes se professionnalisent. Désormais, deux tiers des dossiers présentés sont soutenus par un producteur, ce qui n’est pourtant pas obligatoire.
Mais le nombre de films produits a été presque multiplié par deux depuis 1994, pour atteindre 204 en 2001, pendant que le montant de l’avance sur recettes n’augmentait que d’à peine 20 %. Il frôlait les 15,2 millions d’euros au début des années 1990, et il s’est élevé à 17,92 millions en 2001 (accordés à 52 films, dont 14 premiers longs métrages). « Cela s’apparente beaucoup plus à un concours qu’à un examen », souligne-t-on au CNC.

Conscient du malaise des professionnels, David Kessler, directeur général du CNC, a réuni le 3 septembre les différents représentants syndicaux des auteurs, réalisateurs et producteurs. Une étude menée par le CNC sur l’attribution des fonds depuis une dizaine d’années montre, selon François Hurard et André Avignon, responsables de ces dossiers du CNC, que « la situation a radicalement changé : si pendant un moment les très gros films et les longs métrages portés par des groupes touchaient de l’avance, aujourd’hui, ces sommes sont attribuées presque exclusivement à des petits films. Ce sont les indépendants qui en profitent le plus ». Depuis 1990, entre 8,7 % et 10,4 % des projets examinés ont bénéficié de l’avance pendant que leur nombre variait entre 518 et 591. Sur la même période, la moyenne des avances consenties avant la réalisation du film oscillait faiblement entre 310 000 et 396 000 euros.

La question d’attribuer ou non des crédits publics à des " grosses machines " du cinéma français n’a jamais été tranchée. Politiquement, la commission de l’avance sur recettes, peut également avoir intérêt à montrer qu’elle n’hésite pas à aider des films grand public et qu’elle peut donc récupérer à terme l’avance accordée et n’est pas figée dans une ligne esthétique exclusivement réservée au cinéma d’auteur.
« Nous sommes tombés d’accord sur l’urgence qui existe à débloquer davantage de fonds pour l’avance sur recettes. Je demanderai à la tutelle de pouvoir effectuer un effort progressif dans les années à venir », souligne David Kessler. Un discours qui semble avoir apaisé les esprits. Marie Masmonteil, présidente du Syndicat des producteurs indépendants, estime désormais qu’une profonde réforme de l’avance risque d’« avoir des effets pervers », mais réclame toujours, ce qui semble assez utopique, « un doublement progressif de l’enveloppe de l’avance ».
(Nicole Vulser, Le Monde, 8 octobre 2002)