Vous ne désirez que moi
Paru le Contre-Champ AFC n°328
« Compagnon de Marguerite Duras depuis deux ans, Yann Andrea éprouve le besoin de parler. Sa relation passionnelle avec l’écrivaine ne lui laisse plus aucune liberté ; il doit mettre des mots sur ce qui l’enchante et le torture. Il demande à une amie journaliste de l’interviewer pour y voir plus clair. »
C’est un film que j’aime énormément car à chaque fois que je le vois, j’entends autre chose ; j’entraperçois autre chose de la relation entre Yann Andrea et Marguerite Duras.
Le sujet
Claire Simon dans le dossier de presse : « Il (Yann Andrea) raconte au fond ce qu’il est arrivé à d’innombrables femmes – quand l’autre vous dit : « Vous n’existez pas, vous n’existez qu’à travers moi… » Ça fait des millénaires que les femmes entendent ça. Sauf que lui, c’est un homme et il est surpris d’être dans cette position. »

Bien sûr, il est question de "domination inversée" et c’est un sujet qui me tient terriblement à cœur mais ce qui me touche particulièrement et sûrement plus intimement, c’est le rapport à la fiction. Il y a dans ce couple, un rapport à un "autre monde", en l’occurrence celui des mots, la littérature. Ce binôme n’existe pas si il n’y a pas les écrits de Duras et la création, la passion artistique. C’est encore un autre cran dans la folie ou la dépendance, Yann l’appelle dans le film l’"absolu", "l’amour total" et c’est un rapport au temps et ça a à voir avec l’éternité.
L’art comme ce qui reste et l’amour comme ce qui se détruit ; et la tentation folle de vouloir vivre les deux en même temps, comme un idéal.
Le cadre
Claire cadre elle-même ses films et moi, ça faisait très longtemps que j’avais envie de la voir cadrer, c’est-à-dire penser, concevoir, agir… je ne suis jamais à cette place-là et c’était passionnant. C‘est sa manière à elle de s’investir physiquement dans le monde, en filmant.
Je l’avais eu comme professeure à La femis et il avait été question que je fasse la lumière des Bureaux de Dieu, en 2007. J’adorais déjà à l’époque son énergie et la générosité de cette énergie.


Claire était sur une Peewee pendant les entretiens filmés en plans-séquence de 30 à 45 minutes et dirigeait le machino François Galou, je savais qu’ils s’entendraient bien tous les deux car Galou aime se jeter à l’eau et ne pas savoir ce qu’il va arriver. J’avais milité pour plaquotter tout le décor pour être vraiment souple sur les places caméra autour des deux personnages.


La lumière
Claire m’a fait un des plus beaux compliments de ma vie d’opératrice : « J’aime beaucoup ta liberté avec la lumière ».
C’est la première fois que je fais ce qui revient d’habitude mon chef électro : être à l’iPad et changer la lumière pendant les plans, en fonction des valeurs de plan, de la lumière extérieure qui bouge et de l’heure… et changer le diaph au moteur aussi.
J’avais un plafond lumineux, dont je faisais varier l’intensité et la couleur en fonction des plans, (4 Kino Select au-dessus d’une toile et des installations de HMI à l’extérieur. )
Dans les deux entretiens, mon chef électro tenait un réflecteur et bougeait avec la caméra.
C’est très excitant d’être actif dans le plan quand on ne cadre pas. C’était vraiment un plateau où tout le monde avait quelque chose à faire.

Ce qui était beau dans le travail, c’était que, d’un jour à l’autre, on comprenait mieux ce qu’on faisait ; on pouvait changer d’idée, l’améliorer, on creusait un sillon un peu à tous les postes, machinerie, assistanat, lumière ; la matière nous devenait de plus en plus familière….
Il y a même une prise où j’ai tout éteint d’un coup, en appuyant sur un mauvais bouton… No comment…
Le montage
Dans la méthode Claire Simon, le fait de monter au fur et à mesure et d’essayer de comprendre ce qui marche, ce qui ne marche pas ; ce qu’on comprend ou pas ; va toujours dans le même sens « tout ce qu’on sait, c’est qu’on ne sait rien » et donc être à l’affut et mobile, avoir des principes initiaux extrêmement forts mais être capable de les mettre à mal à n’importe quelle étape de la fabrication. Il faut monter la matière filmique pour y revenir, la façonner, la questionner jusqu’au bout.
Bande annonce
Équipe
Premier assistant caméra : Mathias Sabourdin
Seconde assistante caméra : Éléonore Huisse
Machinerie : François Galou
Electricité : Hadrien Ricol
J’étais très contente de retrouver Julien Lacheray comme monteur (avec qui j’avais travaillé sur Des apaches, de Nassim Amaouche)
Technique
Matériel caméra : TSF Caméra (Arri Alexa Mini, série Leitz Summicron et zoom Angénieux Optimo 28-76 mm)Laboratoire : Micro Climat
Étalonneur : Gadiel Bendelac