A la rencontre de Christopher Doyle

par Thomas Sotinel

Le Monde, 14 juillet 2007

Le Festival Paris Cinéma a rendu hommage, samedi 7 juillet dernier au MK2 Bibliothèque, au directeur de la photographie Christopher Doyle, personnalité excentrique et artiste de génie, en présentant de nombreux films inédits et, en avant-première, le portrait que lui a consacré Yves Montmayeur.

Christopher Doyle au Fetival de Berlin en 2005 - lors du "Berlinale Talent Campus"
Christopher Doyle au Fetival de Berlin en 2005
lors du "Berlinale Talent Campus"

Le multiplexe qui jouxte la Bibliothèque François-Mitterrand est assez près du quartier chinois du 13e arrondissement pour que Christopher Doyle ne soit pas trop dépaysé. A l’invitation de Paris Cinéma, le directeur de la photographie australo (c’est son pays de naissance)-chinois (il y vit et y travaille) y a passé une journée, le 7 juillet, en compagnie du public parisien.

A 53 ans, Christopher Doyle a gardé la dégaine et le comportement d’un adolescent. Au fil des rencontres qui suivent les projections, il fait tourner son interprète en bourrique et ravit le public en mélangeant les gros mots en français et les formules lapidaires : « Pourquoi je n’ai pas fait My Blueberry Nights avec Wong Kar-wai ? Pour la même raison qui a poussé Keith Richards à faire Pirates des Caraïbes 3. »

Personnage romanesque
C’est l’une des meilleures raisons d’être d’une manifestation comme Paris Cinéma que de mettre en présence artistes et public. Le nom de Doyle est connu des cinéphiles, ceux d’entre eux qui se sont rendus aux projections ont maintenant une idée de l’homme.
Collaborateur d’élection de Wong Kar-wai, il a puissamment contribué à l’élaboration du style du cinéaste, employant des ralentis et des accélérés, privilégiant les textures des décors plutôt que leurs couleurs. Immergé dans la culture chinoise – il parle mandarin et cantonais –, le chef opérateur se sent « aussi responsable des films auxquels j’ai collaboré qu’un réalisateur ». Mais pour mesurer la réalité de ce propos, il fallait une leçon de choses, une programmation construite autour du seul long métrage que Doyle ait mis en scène à ce jour, Away with Words, d’un Self Portrait (" autoportrait ") réalisé en collaboration avec la jeune directrice de la photo chinoise Rain Lee et d’un documentaire du Français Yves Montmayeur, In the Mood for Doyle.

Emerge ainsi la figure singulière d’un cinéaste à part entière, qui croit à une manière collective de pratiquer son art, proche de l’improvisation musicale. Il réussit à imposer cette vision dans des environnements différents, une production hollywoodienne (La Fille de l’eau, de M. Night Shyamalan), un film d’arts martiaux (Hero, de Chen Kaige) ou le Paranoid Park de Gus Van Sant. Avec ce dernier il a déjà tourné le remake " plan pour plan " du Psychose de Hitchcock, sans avoir vu, il le jure, l’original.
Apparaît aussi un personnage romanesque, qui a fui son pays et choisi la Chine, parce qu’il ne voulait pas « rester australien toute (sa) vie », et qui s’est retrouvé directeur de la photographie presque par hasard, après avoir bourlingué dans la marine marchande.
Ce programme sera de nouveau projeté samedi 14 juillet, en l’absence cette fois du principal intéressé. Il est parti filmer Monkey, en Chine. Qui d’autre pouvait tirer un film de ce spectacle (qui sera présenté à Paris en septembre au Théâtre du Châtelet) inspiré d’un grand classique de la littérature chinoise, Le Voyage vers l’Ouest ?
(Thomas Sotinel, Le Monde, 14 juillet 2007)

  • In the Mood for Doyle, portrait réalisé par Yves Montmayeur, sera programmé sur Arte, le 30 août, à 22h30.