Innovations technologiques

Archiver des films avec de l’ADN ?

La Lettre AFC n°264


Dans un article publié par Technicolor à l’occasion de son 100e anniversaire, trois chercheurs décrivent un concept innovant d’archivage dans des molécules d’ADN. D’après eux, ce mode d’archivage pourrait permettre de stocker des films ou tout autre type de média pour des "milliers d’années".

L’idée de base
A la différence des supports habituels d’archivage, tels que le film, les supports optiques ou magnétiques, l’ADN est extrêmement stable et résistant. Dans des conditions de stockage rigoureuses de basse température, d’atmosphère sèche et à l’abri de la lumière, des molécules d’ADN peuvent rester stables pendant des dizaines de milliers d’années. C’est ainsi que les scientifiques peuvent analyser l’ADN d’humains ou de mammouths conservés dans la glace depuis des millénaires.
La technologie permettant de lire les informations contenues dans les hélices d’ADN est simple et bien connue et devrait perdurer des centaines ou des milliers d’années, ce qui n’est pas le cas des technologies optiques ou magnétiques, qui voient des matériels nouveaux émerger et disparaître tous les dix ans environ.

De plus, l’ADN est extrêmement compact et les données encodées biologiquement pourraient bénéficier d’une densité très largement supérieure à celle des supports magnétiques. Des chercheurs de l’université de Harvard ont mis en évidence de façon expérimentale des densités de plusieurs petabits (1 petabit = 1 000 terabits) par mm3. Suffisant pour stocker – théoriquement – un catalogue d’un million d’images dans une bouteille.

Comment stocker des films dans de l’ADN ?
Le concept est assez simple : partir d’un élément numérique, codé avec des 1 et des 0 et le "convertir" en nucléotides A,C,T ou G (les nucléotides A et C caractérisant la valeur 0 et les nucléotides T et G la valeur 1, par exemple) puis synthétiser un ADN artificiel, non-biologique. Il est ensuite possible de reproduire à de nombreux exemplaires – voire des millions – les séquences d’ADN obtenues, et de lire ces séquences avec des machines utilisées pour séquencer l’ADN, puis de convertir ces séquences en suite de 1 et de 0 pour retrouver le fichier numérique initial.

Mais les étapes d’écriture et de lecture de l’ADN sont sujettes à des erreurs et nous ne savons encore coder pour l’instant que de petites quantités d’ADN.

Le chercheur George Church, de l’université de Harvard, a décrit en 2012 une expérience réussie de transcription d’un texte numérique de 650 Ko sur de l’ADN, et Technicolor, qui finance ses travaux, table sur la possibilité de stocker de beaucoup plus gros fichier dans l’avenir. Mais des obstacles majeurs subsistent. Il s’agit d’abord de réduire le coût du séquençage, d’améliorer les étapes de synthétisation et de séquençage, en particulier la correction d’erreurs, et de mettre au point des méthodes efficaces de synthétisation de grandes quantités d’ADN. En effet, l’archivage d’un long métrage couleur sonore nécessiterait la synthèse d’environ 400 millions de nucléotides.

En octobre 2015, il annonçait s’être attelé à la synthèse du Voyage dans la lune.

Le Voyage dans la lune synthétisé en ADN
C’est ainsi qu’en mars dernier, Jean Bolot, vice-président à la recherche et à l’innovation de Technicolor, a présenté une fiole contenant des copies du film de G. Méliès, Voyage dans la lune, film muet noir-et-blanc de quatorze minutes, sur lequel George Church travaillait depuis l’an dernier.
Pour Technicolor, la recherche devrait donc permettre d’envisager l’archivage de films sur ADN dans les prochaines années.